dimanche, août 27, 2006

Le concept de vertu chez Platon - suite 3

Euthydème

Dans l'Euthydème, Socrate analyse les éléments qui définissent la vie heureuse : Posséder beaucoup de biens, parmi lesquels les trois vertus cardinales, de tempérance, de justice, de force auxquelles s'ajoute le savoir ( sophia ) , car on réussit toujours dans la discipline que l'on connaît.

" Que dirons-nous de la tempérance, de la justice, du courage ? Au nom de Zeus, Clinias, crois-tu que nous aurons raison de les ranger parmi les biens ?...
....Mais la science, (sophia) quelle place lui donnerons-nous dans le choeur ? La placerons-nous parmi les biens ? qu'en dis-tu ?
- Parmi les biens.
Il faut reconnaître, dis-je, que la sagesse est le talent de réussir.
Ne sais-tu pas, Clinias, lui dis-je, qu'au jeu de la flûte ce sont les flûtistes qui réussissent le mieux ?
Il en convint.
Et que, pour l'écriture et la lecture, ce sont les maîtres d'école ?
Et à la guerre, avec qui aimerais-tu mieux partager le péril et les hasards, avec un général habile ou avec un incapable ?
Avec un habile.
Et, si tu étais malade, avec qui aimerais-tu être en danger, avec un médecin savant ou avec un ignorant ?
Avec un savant.
N'est-ce pas, repris-je, parce que tu crois que tu réussirais mieux avec un savant qu'avec un ignorant ?
C'est donc la sagesse qui, en toute occasion, fait réussir les hommes." ( Euthydème, 278, 279, 280 )

Ainsi, non seulement il faut posséder les biens, mais en faire bon usage, ce qui fait intervenir la science (épistemè) ou l'entendement (phronésis). Pour réaliser le désir d'être heureux, ( faire un bon usage des biens ), il faut être le plus savant possible, il faut rechercher le savoir.
Alors, Socrate essaie de circonscrire la science qui permet d'user correctement des vertus cardinales pour atteindre le bonheur. Transitoirement, il isole l'Art Royal, la politique.

" Mais philosopher, poursuivis-je, c'est acquérir une science, n'est-il pas vrai?
Mais quelle peut être la science qu'il est à propos d'acquérir ? N'est-ce pas tout simplement celle qui nous sera utile ?
Nous avons donc besoin, mon bel enfant, repris-je, d'une science qui tout ensemble produise et sache user de ce qu'elle produit.....

Mais, au nom des dieux, dis-je, si nous apprenions l'art de faire des discours, serait-ce celui-là qu'il nous faudrait acquérir pour être heureux ?
Je ne le crois pas pour ma part, repartit Clinias.
Sur quelles preuves t'appuies-tu ? demandai-je.

Je vois, répliqua-t-il, des faiseurs de discours qui ne savent pas tirer parti de leurs propres discours. bien qu'ils les composent eux-mêmes, pas plus que les fabricants de lyres de leurs lyres. Là encore, ce sont d'autres qui ont le talent d'utiliser ce qu'ont fait les autres, incapables de composer eux-mêmes des discours. Il est donc clair qu'à l'égard des discours aussi, l'art de faire est distinct de l'art d'utiliser.

Il me paraît, repris-je, que tu viens fort bien de prouver que l'art des faiseurs de discours n'est pas celui dont l'acquisition pourrait nous rendre heureux.

Et pourtant je pensais, moi, que nous trouverions là la science que nous cherchons depuis longtemps. Car quand je me trouve avec ces gens-là, les auteurs de discours, ils me paraissent, Clinias, supérieurement savants et leur art même merveilleux et sublime. Et il n'y a rien d'étonnant à cela, puisqu'il fait partie de l'art des enchantements et ne lui est inférieur que de peu. Celui des enchantements consiste à charmer des serpents, des tarentules, des scorpions, les autres bêtes, et les maladies. L'autre consiste précisément à charmer et apaiser les juges, les membres de l'assemblée et les autres foules. Et toi, dis-je, es-tu d'un autre avis ?
Alors où nous tourner encore ? dis-je; vers quelle sorte d'art ?
L'art du général, répondis-je, me parait être par excellence celui dont l'acquisition fera notre bonheur.

- Ce n'est pas mon avis. Quand les généraux ont capturé une ville ou une armée, ils la remettent aux hommes d'Etat, car eux-mêmes ne savent pas user ce qu'ils ont pris à la chasse, pas plus que les chasseurs de cailles qui remettent leur gibier aux éleveurs.

......A quoi bon te rapporter nos nombreuses enquêtes? Mais étant arrivés à l'Art royal, et recherchant si c'était celui-là qui produit le bonheur, nous tombâmes alors dans une espèce de labyrinthe, et au moment où nous croyions toucher le but, nous nous retrouvâmes pour ainsi dire au début de notre recherche.

- Comment cela vous arriva-t-il, Socrate ?
- Je vais te le dire. La politique et l'Art royal nous parurent être la même chose.

C'est à cet art, nous semble-t-il, que celui du général et les autres s'en remettent pour disposer des ouvrages dont ils sont eux-mêmes les artisans, comme au seul qui sache en faire usage. Aussi nous parut-il évident que c'était celui que nous cherchions, qui est la cause de la prospérité dans la Cité et qui précisément, suivant le vers d'Eschyle, est seul assis au gouvernail de l'Etat, gouvernant tout, commandant à tout et rendant tout profitable.
Et l'Art royal qui commande tout ce qui est sous sa direction, que produit-il ?
Peut-être es-tu un peu embarrassé pour répondre.
Nous ne l'étions pas moins nous-mêmes, Criton. Mais tu sais du moins que, si c'est l'art que nous cherchons, il faut qu'il soit utile.
Or nous étions tombés d'accord, Clinias et moi, que le bien n'était pas autre chose qu'une science.
Mais tous les effets qu'on peut attribuer à la politique, - et ils sont sans doute nombreux - comme la richesse, la liberté, le bon accord entre les citoyens, tous ces effets nous parurent n'être ni des maux ni des biens, tandis que cet art devait nous rendre sage et nous communiquer la science pour être celui qui nous est utile et nous rend heureux." ( Euthydème, 291, 292, 293 ).

Ici encore, la recherche, pour édifiante qu'elle soit, tourne court, puisque la science qui garantit le bon usage de la vertu n'est pas définie dans le cadre strict de la raison, de l'entendement.

L'approche décisive de cette science se formule dans le Phédon par la rencontre de l'intellect, dégagé de l'enveloppe corporelle, avec les essences elles-mêmes libérées des images sensibles. C'est la science de " l'être en soi ", c'est la phronésis, l'Idée pure associée à l'âme purifiée.
La doctrine des Idées, en particulier l'Idée du Bien, a fourni à Platon la notion d'un Absolu, d'une Excellence. Cette doctrine s'articule sur deux oppositions :

* L'existence d'êtres immuables, invisibles, immatériels, intelligibles, les essences ( table, homme, cheval..), domaine de l'âme, de l'intellect.
* Des apparences, muables, visibles, corporelles, sensibles, les perceptions, domaine du corps.
A cet aspect métaphysique, s'associe l'aspect éthique. Les réalités intelligibles rattachées à l'Idée du Bien constituent un Ordre parfait qui s'impose comme modèle à reproduire, pour notre plus grand bien.

La vertu, c'est la démarche qui en découle : réaliser en soi un Ordre comparable à l'Ordre divin.
Or, à cette époque de la Grèce classique, la morale individuelle est indissociable de la morale publique ou politique. La bonne conduite de l'Etat, pour celui qui tient le gouvernail, implique la qualité de philosophe, dont la science et la vertu, alors confondues, permettent de reproduire, dans la cité terrestre, l'Ordre et l'harmonie qui règnent dans la cité divine des Idées.
Dans le Phédon, revenons à 69, a, b, c. où le terme phronésis recouvre pensée, entendement, sagesse.

" Bienheureux Simmias, peut-être n'est-ce pas le vrai moyen d'acquérir la vertu, que d'échanger voluptés contre voluptés, peines contre peines, craintes contre craintes, les plus grandes contre les plus petites, comme ci c'étaient des pièces de monnaie.

On peut croire, au contraire, que la seule bonne monnaie contre laquelle il faut échanger tout cela, c'est la sagesse, que c'est à ce prix et par ce moyen que se font les achats et les ventes réels, et que le courage, la tempérance, la justice, et, en général, la vraie vertu s'acquièrent avec la sagesse, (phronésis, pensée, prudence ) peu importe qu'on y ajoute ou qu'on en écarte les plaisirs, les craintes et toutes les autres choses de ce genre.

Si ont les sépare de la sagesse et si on les échange les unes contre les autres, une telle vertu n'est plus qu'un trompe-l’œil, qui ne convient en réalité qu'à des esclaves et qui n'a rien de sain ni de vrai. La vérité est en fait une purification de toutes ces passions, et 1a tempérance, la justice, le courage et la sagesse elle-même sont une espèce de purification. "
On acquiert les vertus cardinales de force, de courage, de tempérance et de justice avec cette force de pensée, cet entendement, cette sagesse qui englobe ainsi la vraie vertu. Il ne s'agit pas de faire une tare entre telle ou telle sensation de plaisir ou de peine s'équilibrant ou se compensant selon une morale floue. Il ne s'agit pas non plus de goûter le plaisir ou la peine pour quantifier ou qualifier une vertu. La vertu est au delà du sensible, de l'apparence, elle est de l'ordre de l'intelligible, de l'âme déliée de son corps, capable d'accéder au domaine des Idées pures.

Le Phédon est la charnière entre le discours éducatif, destiné à la jeunesse, où on pose le problème de la vertu sans parvenir à le résoudre totalement, et l'élaboration de la maturité où la vertu s'inscrit dans la connaissance de l'Idée du Bien.

jeudi, août 24, 2006

Le concept de vertu chez Platon - suite 2

Ménon

Dans le Ménon, Socrate reprend les mêmes questions. Avant de savoir si la vertu peut s'enseigner, il cherche à la circonscrire.

"- Et maintenant, c'est par la vertu que nous sommes bons ?
- Oui.
- Or, si nous sommes bons, nous sommes utiles : car
tout ce qui est bon est utile, n'est-ce pas ?
- Ainsi la vertu est utile ?
- Examinons donc, en les prenant une par une, quelles sont les choses qui nous sont utiles. C'est la santé, disons-nous, puis la force, la beauté et la richesse.
C'est cela et d'autres choses du même genre que nous appelons utiles, n'est-ce pas ? ....
- Examine maintenant comment chacune de ces choses est réglée lorsqu'elle nous est utile, et comment, lorsqu'elle nous est nuisible. N'est-ce pas lorsqu'on en use comme il faut qu'elles sont utiles, et, lorsqu'on en use mal, qu'elles sont nuisibles ?
- Parfaitement.
- Maintenant examinons aussi ce qui se rapporte à l'âme. Y a-t-il quelque chose que tu appelles tempérance, justice, courage, facilité à apprendre, magnanimité et ainsi de suite ?
- Oui.
- Parmi ces choses, examine maintenant si celles que tu juges n'être pas des sciences, mais des choses différentes de la science, ne sont pas tantôt nuisibles et tantôt utiles. Prenons pour exemple le courage : s'il est dénué de prudence, il n'est qu'une sorte d'audace. Or n'est-il pas vrai que l'audace sans intelligence est nuisible à l'homme, et qu'avec l'intelligence elle lui est utile
- Si.
- N'en est-il pas de même de la tempérance et de la facilité à apprendre ? Ce qu'on apprend et ce qu'on pratique avec intelligence est utile, nuisible, sans l'intelligence.
Bref, tout ce que l'âme entreprend et supporte tourne à son bonheur si elle se laisse guider par la prudence, et à son malheur, si c'est la folie qui la conduit ?
- Il y a apparence. - Si donc la vertu est une des qualités qui se trouvent dans l'âme et si elle est nécessairement utile, elle ne peut être que raison, puisque toutes les autres qualités de l'âme ne sont en elles-mêmes, ni utiles ni nuisibles, et le deviennent l'un ou l'autre que si la raison ou la folie s'y ajoutent.
- Selon ce raisonnement, puisque la vertu est utile, elle ne peut être qu'une sorte de raison.....
Or l'âme raisonnable les dirige bien, l'âme déraisonnable les dirige mal.
On peut donc dire d'une manière générale que dans l'homme tout dépend de l'âme et que l'âme elle-même dépend de la raison, condition indispensable pour qu'elle soit bonne. D'après ces principes, l'utile est le raisonnable. Or nous avons dit que la vertu était utile ?
Nous en concluons que la vertu est la raison, en tout ou en partie.
Mais s'il en est ainsi, les bons ne sont pas tels par nature.
Mais .puisque ce n'est pas la nature, est-ce l'éducation qui les rend bons ?
- Cela. me paraît forcé, et il est clair, Socrate, d'après notre hypothèse, que, si la vertu est une science, elle peut être enseignée. ( Ménon, 86, 87, 88, 89,90.).

La discussion terminée, Socrate la résume ainsi :
Ayant reconnu que la vertu n'est pas un don de nature, nous avons examiné ensuite si elle peut s'enseigner. Il nous a paru qu'elle le peut, si elle est science, et que, s'il y avait des maîtres de vertu, elle était science et susceptible d'enseignement. Mais il n'y a pas de maîtres de vertu.

Cependant nous avons reconnu qu'elle est bonne et utile, que ce qui dirige bien est utile et bon, et qu'il n y. a que deux choses qui en sont capables, l'opinion vraie et la science.

Puisque la vertu n'est pas science, il reste qu'elle se fonde sur l'opinion vraie. C'est l'opinion vraie qui fait les grands hommes d'Etat. Ils sont dans le cas des devins et des prophètes, inspirés des dieux qui disent la vérité sans en avoir la science. La vertu nous vient donc par une faveur divine.

mardi, août 22, 2006

IDOLÂTRIE ET TOTALITARISME - suite 2

D. Des déviances portant atteinte à la démocratie

La première est la théocratie.

La louable séparation de l'Église et de l'État ne doit pas faire oublier que l'homme ne fait jamais totalement abstraction des opinions religieuses. L'idolâtrie a tôt fait de se profiler. Ceci s'est révélé en Allemagne dès 1935 avec une éthique de l'obéissance et une eschatologie -à l'image de Moise et d'un peuple élu- en reprenant l'archétype de Wotan, dieu nordique. Il sera choisi pour être le souffle mythique du futur millénaire germanique. Wilhelm Hauer créera ainsi le mouvement de la croyance allemande qui tendra à une renaissance des écrits et des traditions de la race germanique et nordique. Ce mouvement on le sait, aboutira à une renaissance quasi mythique de la nation à partir des fondements héréditaires allemands, concrétisée par un livre «Vision allemande de Dieu « tentative de théocratie sans aucun doute, avec transfert idolâtre sur celui qui incarnera bientôt ce souffle « divin », et ce « Gott mit uns» qui balaiera l'Europe entière.

Aussi. quand l'homme .ne recourt pas a la fiction d’une alliance avec Dieu ou aux mythes anciens pour assurer un quelconque pouvoir sous le couvert du retour a un âge d’or, son droit naturel, sa liberté individuelle originelle, comme l’écrit Hobbes dans son « Traité sur le citoyen » (1642), doivent céder la place a un droit civil. Pour vivre en paix et harmonie, il faut abandonner une part de son droit individuel et s'engager à respecter le droit de l'autre en n'abusant pas de sa puissance personnelle. Ce qui semble le plus précieux est cette vie en société ou chacun vit en bonne intelligence, rendant supportable le fait de vivre dans un même monde avec ces éternels étrangers que sont les autres et leur permettant, à eux de nous endurer.

La seconde déviance est la manipulation intellectuelle

L'existence d’une telle forme de civisme devrait prévenir toute tentative de domination intellectuelle tendant à affaiblir toute structure de pensée. Elle peut cependant survenir dans la manipulation de la multitude par les tenants du pouvoir.

Aujourd'hui encore se pérennise le discours idolâtre, qu’il soit politique ou médiatique, avec toutes ses caractéristiques : sacralisation, attitude cultuelle, fanatisme sacrifice par l’abandon a tôt fait de transgresser les lois. Rappelons ce qu’écrivait Montesquieu :

« La vie en société est cadré par les lois qui régissent les actes de tout citoyen de la cité. Elle est réglée tout autant par les mœurs qui mènent les actes de tout homme dans la société »
Qu’on en vienne à transgresser les lois quand on est chargé de les faire respecter, qu'on se joue de ces lois en s'avouant responsable mais non coupable, amène le citoyen au doute voire à la contestation. Fort heureusement, cette défaillance est un certain temps compensée et voilée par le maintien des mœurs et s us et coutumes de la société. «Seule une certaine moralité peut maintenir encore un temps une cohésion devenue fragile». rappelle Montesquieu, ajoutant aussitôt: «Que cette force de liaison que constitue la moralité vienne à disparaître et le moindre hasard va menacer cette société que ne garantissent plus les hommes qui la composent »

Hannah Arendt reprenant cette idée- nous dit alors que les conditions sont remplies pour que l'homme perde non seulement ce que Montesquieu appelle le bon sens, ce sens commun unificateur, mais aussi son droit d’agir politiquement. Disparaissent alors toute recherche du sens comme tout besoin de comprendre, ce qui place l’homme citoyen dans un état de vulnérabilité psychologique. Les repères de l’intelligence ont disparu, les catégories de pensées sont dispersées, les critères de jugement sont flous :
…une logique implacable peut alors être mise en place. Et souligne Hannah Arendt « nous n’avons que trop tendance a la logique comme a un substitut quand nous perdons tout sens commun ».

Ce que nous appelons manipulation intellectuelle prend naissance quand la pensée totalitaire vient pervertir la réflexion sous forme d’un énoncé évident dans sa logique et sa cohérence. Le concept d'existence historique universelle des individus en sera le ferment. Le leurre sera que tout ce qui sera imposé le sera au nom de l'homme et de l'humanité !

Cela suppose corollairement une sorte de lâche abandon du citoyen. Il est sans doute plus facile de s'inscrire dans un système où il n’y a plus besoin de juger quand on e perdu toute envie de juger ! C'est le moment propice où l’on se laisse glisser sur la pente bientôt irréversible du totalitarisme. L’obéissance passive est ce prodrome psychologique du système aliénant, la clef qui intègre l'action individuelle au dessein collectif dicté par l idéologie nouvelle, et qui va générer une soumission inconditionnelle d’un nombre toujours plus grand d’individus banalisant le mal comme l’écrit Hannah Arendt. Et en toile de fond 1’abandon de toute responsabilité .personnelle ira de pair avec la transgression des règles de l’éthique universelle.

Sous 1’emprise du totalitarisme l’important devient vite d’être digne de ce que l'autorité nouvelle attend. Les ordres reçus entrent alors dans un schéma psychologique déprogrammé, avec une telle conviction qu'ils annihilent toute réflexion critique personnelle. L’idéologie, vecteur de cette conviction, situant ses actions dans un contexte élargi, bénéfique et utile pour le bien de l'humanité, rend légitime l'exécution de ses volontés. Plus encore elle scotomise tout esprit d’analyse de l’évidente transgression des valeurs morales dépossédant l’individu et le citoyen de son libre arbitre; comme de sa liberté d’action ou de réaction.

Ici l’autorité agissant sur des tiers obéissants sera d'autant plus persuasive que ceux-ci seront cloisonnés à l’intérieur d’une hiérarchie. La personne placée dessus d’une autre sera en droit de lui imposer les ordres qu’elle aura elle-même reçus. Elle les transmettra à son tour à ceux qui dépendent d’elle. Cette chaine induit un comportement homogène, un conformisme général, à la fois salvateur et rassurant : être identique aux autres en actes dictés comme en pensées induites. Ainsi, chaque maillon obéissants aux ordres reçus ne se sentira t il aucunement responsable de ce qu’il fait. L’autorité supérieure couvre en quelque sorte tous les actes souvent exécutés par devoir ou par routine. Chacun pourra même dans la chaîne n’avoir jamais commis aucun acte directement répréhensible. Ainsi peut-on expliquer, que chez certains hommes, la force de persuasion de l’autorité, l’absence sinon la limitation dune vision globale des choses et l’esprit d'obéissance les amènent au rang de bourreaux!

L’instauration d’un tel schéma de société a pour corollaire une potentialité d'obéissance induite par la perte de toute volonté, de tout sens critique, de tout droit de l'exprimer. Est-ce à dire qu’il s’agit la d’un mécanisme instinctif de survie propre à l'homme, animal de meute par excellence, qui établit une relation de dominant –domine a l’exemple des loups ? En sommes-nous loin quand l’individu se croit engagé vis-à-vis d’une autorité dirigeante, sans pour autant se sentir responsable du contenu des actes commandés par celle-ci, quand le masque n’est que loyauté-devoir-discipline ?

La troisième déviance est l'abandon oui perte de volonté

Cet abandon de tout droit d'initiative est-il synonyme de perte de volonté ? Pour Schopenhauer, qui fait du corps la clef du monde des idées, l'inconscient est la clef de 1’homme, voulant dire par là qu’il vit, se construit et s'affirme par sa volonté de vivre. «C'est dans la volonté qu'il faut chercher l'unique donnée susceptible de devenir la clef de notre connaissance vraie » dit-il mais il ajoute: « l'homme, en même temps se détruit dans sa passion et sa violence, victime volontaire de cette aliénation a ce désir de vivre dont il devient le jouet. Il subit alors son destin qui n'est en fait qu'en lui, ne dépend que de lui. Voudrais-il y renoncer qu'il ne pourrait pas sans perdre cette volonté qui fait son identité «. Car toujours selon Schopenhauer« Toute identité de la personne repose sur une volonté qui ne vieillit pas, qui confère une persistance a son regard sur le monde et jamais ne quitte le noyau même profond, de son être.

Ici cette perte de volonté serait donc une démission a se prendre en compte. Aussi, pour qu’un homme se sente responsable de ses actes, pour qu’il continue à être maitre de lui-même et de son destin, il lui faudrait au contraire prendre conscience que son comportement doit lui être en permanence dicté par son moi profond et lui seul. Il est classique de dire que l’homme est une bête qui abrite en lui des instincts agressifs qui cherchent sans cesse à s’exprimer. Les pulsions agressives auraient tôt fait de surgir dans certaines conditions sous le couvert d’une caution sociale.

Fort heureusement l`individu libre et responsable apprend à les refouler. C'est son surmoi qui lui permet d'apprécier la notion de ce qui est bien ou mal pour tout acte. Car soumis à une autre volonté que la sienne, et seulement dans ce cadre, son surmoi contrôlera seulement sa qualité de fonctionnement. Cette disposition mentale est le danger : inhibant en temps normal toute nuisance à autrui, l'homme peut perdre cette capacité d'inhibition de nuisance dès lors que les actions sont prescrites par l'autorité.

L’état « agentique » écrit Stanley Milgram, constitue la disposition mentale propice aux actes d obéissance. Mais, normalement, cela ne suffit pas, tant la projection du moi interdit tout acte qui viendrait ternir l’image de marque que l’homme tient a avoir de lui même comme des autres. Il faut une autorité directe, ou au contraire diluée dans une hiérarchie telle que nous l’avons décrite, pour que la soumission s’accomplisse dans des actes.

Pourtant l'homme n’est fait ni pour une indépendance absolue, ni pour une aliénation totale. Seule une conscience forte le mettra donc en situation de rupture par la contestation et la désobéissance, acte individuel courageux, véritable résurgence de cette volonté que définissait Schopenhauer et dont il devra alors supporter, solitaire les conséquences.

samedi, août 19, 2006

Le concept de vertu chez Platon suite

Lachès & Protagoras

Dans le Lachès, Platon met en scène deux généraux valeureux, Lachès et Nicias qui s'affrontent sur leur conception du courage, une des vertus fondamentales. Le motif en est l'éducation des jeunes gens. L'objet de l'éducation : mettre la vertu dans l'âme des jeunes gens .Il faut donc d'abord définir la vertu.

« * Nous disions donc, Lachès, que nous savons ce que c'est que la vertu ?
* Oui, nous l'affirmons.
* Ne nous attachons pas tout de suite, mon très bon, à la vertu en général; ce serait peut-être une tâche excessive. Bornons-nous d'abord à une de ses parties et voyons si nous en avons une connaissance suffisante. Cet examen sera naturellement plus facile pour nous
Maintenant quelle partie de la vertu choisirons-nous ?
Evidemment celle où parait se rapporter à l'apprentissage des armes. D'après l'opinion générale, c'est le courage n'est-ce pas ? " (Lachès, 190)

Lachès échoue tout d'abord à donner du courage une définition satisfaisante. L'homme courageux est celui qui tient ferme contre l'ennemi. Définition étroite car le courage trouve son application dans beaucoup d'autres circonstances, notamment contre les passions. Lachès déclare que le courage est une sorte de fermeté, et que c'est une des plus belles choses qui soient. Socrate lui montre que cette fermeté est une belle chose quand elle se fonde sur la raison , une laide quand elle se fonde sur l'ignorance. Il y a pourtant des cas où Lachès prétend que l'homme ignorant est plus courageux que le savant. Or l'ignorance est une chose laide, et Lachès a reconnu que le courage est une belle chose. La discussion aboutit alors à une contradiction.

« * Socrate : Si donc tu le veux bien, persistons avec fermeté dans notre recherche, afin que le courage lui-même ne nous raille pas de le chercher si peu courageusement, s'il est vrai que parfois la fermeté se confond avec le courage.
* Lachès : Il me semble que je conçois bien ce qu'est le courage; mais je ne sais comment il s'est fait tout à l'heure que l'idée m'en est échappée, au point que je n'ai pu ni la formuler ni la définir. "

Nicias reprend à son compte le principe socratique selon lequel on est bon dans ce que l'on sait et mauvais dans ce qu'on ignore et définit le courage : la science de ce qui est à craindre et de ce qui ne l'est pas. Cette confusion de la science et du courage fait bondir Lachès :

« alors les médecins, les artisans, les agriculteurs qui connaissent dans leur métier ce qui est à craindre et ce qui ne l'est pas, sont des hommes courageux ?"

« * Socrate : Dis-moi donc, Nicias, ou plutôt dis-nous, puisque Lachès et moi, nous faisons cause commune, tu prétends que le courage est la science de ce qui est à craindre et de ce qui ne l'est pas ?
* Nicias : Oui.
* Et que cette science n'est pas à la portée de tout le monde, puisque ni le médecin ni le devin ne la connaissent et qu'ils ne seront courageux qu'à la condition de l'acquérir d'autre part ? N'est-ce pas là ce que tu disais ?
* C'est bien cela.
* Le proverbe a donc raison de dire qu'il n'appartient pas au premier porc venu de la connaître et de devenir courageux. .....

* Nicias : Moi, Lachès, je n'accorde aucun courage aux animaux, ni à aucun être qui méprise le danger par ignorance : je les appelle téméraires et fous. Tu crois donc que j'appellerais courageux tous les petits enfants qui, parce qu'ils sont ignorants, ne craignent rien. A mon sens, être sans peur et être courageux sont deux choses différentes. J'estime, moi, que le courage et la prévoyance n'appartiennent qu'à un très petit nombre de gens, mais que la témérité, l'audace et l'absence de crainte liée à l'imprévoyance sont le partage de presque tout le monde, hommes, femmes, enfants et animaux. Aussi les actes que tu appelles courageux avec le vulgaire, moi, je les appelle téméraires, et j'appelle courageux les actes réfléchis dont je parle."

Socrate objecte à Nicias que si le courage est la science des choses à craindre, les choses à craindre se rapportent à l'avenir. Or la science est quelque chose d'absolu qui se rapporte non seulement au futur, mais au présent et au passé. Il en résulte que si le courage est une science, il doit être la science de tous les biens et de tous les maux, et l'homme qui les connaîtrai tous posséderait la vertu entière. Nicias a donc défini non le courage mais la vertu tout entière. Il faut trouver un nouveau maître




Protagoras

Dans le Protagoras, le sophiste s'oppose à Socrate sur la notion de vertu, de courage, et sur la possibilité de l'enseigner.
Protagoras reconnaît que quatre vertus, la justice, la tempérance, la sagesse et la piété, sont assez semblables entre elles, mais il maintient que le courage est tout à fait différent.

- Ne penses-tu pas, dit Socrate, que la vertu est une chose belle de tout point?
- Si, répond Protagoras.
- Le courage n'est-il pas la hardiesse ? - Si.
-Mais une hardiesse déraisonnable, est-ce du courage ?
- Non, c'est de la folie.
- Il faut donc pour qu'il y ait courage, qu'il y ait raison et connaissance, autrement le courage ne serait pas une belle chose, mais une chose folle ?
- Oui.
- Donc le courage se confond avec la sagesse.
Mais Protagoras rejette cette conclusion, et soutient que si la hardiesse vient de la science, le courage est un don de la nature.

Au lieu de réfuter l'objection, Socrate se place à un autre point de vue. i1 fait d'abord avouer à Protagoras que la science est toute-puissante sur l'homme qui la possède, puis, partant de ce principe qu'agréable et bon, désagréable et mauvais ne font qu'un dans leur essence et que personne ne choisit sciemment ce qui est désagréable et n'évite sciemment ce qui est agréable. Quand un homme fait le mal, c'est qu'il est vaincu par le plaisir, il s'est trompé dans ses mesures des choses agréables et désagréables, il a péché faute de science.

Or qu'est-ce que la crainte, sinon l'attente d'un mal ? Donc, quand un homme craint une chose, c'est qu'il la croit mauvaise, et les lâches ne sont lâches que par l'ignorance où ils sont des choses à craindre. Et, si le courage est le contraire de la lâcheté, il faut qu'il soit la connaissance des choses à craindre et de celles qui ne le sont point.

Ainsi toute vertu est science et par conséquent peut être enseignée. C'est la conclusion où la dialectique a conduit les deux interlocuteurs, conclusion contraire à l'opinion que chacun d'eux professait avant la discussion. (Protagoras, 359, 360, 361 ).

jeudi, août 17, 2006

Le concept de vertu chez Platon

Le Phédon : la vertu et la mort.

Le thème de l'âme et de la mort est la trame de ce dialogue. Il relate les derniers jours de Socrate, attendant son sacrifice. Son jugement a été différé à cause du pèlerinage à Delos, selon le voeu fait à Apollon après la victoire de Thésée sur le Minotaure, qui libéra Athènes du tribut des "deux fois sept vierges". Phédon, témoin de cette préparation à la mort, répond à la curiosité d'Echécrate, dans un cercle pythagoricien du nord du Péloponèse, et relate les paroles et la conduite de Socrate, à travers un dialogue entre celui-ci, Cébès, et Simmias de Thèbes.

Phédon : " Ce qui est sur, c'est que pour ma part, j'éprouvai, pendant que je me trouvais auprès de lui, d'étranges émotions. Non, en effet, en face de la mort d'un homme dont j'étais familier, ce n'était pas de la pitié qui me venait. Car c'était un homme heureux qui se présentait à moi, tant par son attitude que par son langage : si grande étaient, en face de la mort, sa sérénité et sa vaillance! Au point de m'offrir l'image de quelqu'un qui, s'en allant chez Hadès, n'y va pas non plus sans une dispensation divine, mais qui, une fois parvenu là-bas, y trouvera au contraire son bonheur, comme jamais personne d'autre au monde. Il y avait quelque chose de déroutant dans l'émotion que je ressentais : un mélange extraordinaire, dans la composition duquel entrait du plaisir, en même temps que la douleur quand je songeais que tout à l'heure, lui, il allait cesser de vivre! ".

Toute l'occupation du sage, durant la vie, est de mourir d'une certaine mort : et c'est seulement parce que telle est l'occupation du sage vivant que, l'heure venue de la mort physique, le sage n'a pas le droit de s'irriter.
Il s'agit donc de voir quelle est cette sorte de mort à quoi s'applique le sage durant la vie.

1. L'obstacle corporel.

" Et qu'en est-il maintenant de la possession même de l'intelligence ? Le corps est-il ou n'est-il pas une entrave quand on le prend comme associé dans la recherche?

Voici, par exemple, ce que je veux dire : est-ce que la vue aussi bien que l'ouïe apportent aux hommes quelque vérité ? Ou bien en est-il, comme ne cessent de nous le rabâcher les poètes, que nous ne voyons ni n'entendons rien exactement ?

* Quand donc, reprit Socrate, l'âme atteint-elle la vérité ? Lorsqu'en effet c'est avec le concours du corps qu'elle entreprend quelque examen, elle est alors, cela est clair, entièrement abusée par lui.
* N'est ce donc pas dans l'acte de raisonner, plus que partout ailleurs, que l'âme obtient la claire vision d'une réalité ?
* Oui.

D'autre part, la condition la plus favorable, certes, pour qu'elle raisonne bien c'est, je pense, quand rien ne la trouble de tout ceci, ni ce qu'elle entend ni ce qu'elle voit, ni une souffrance et pas davantage un plaisir, mais que, au plus haut degré possible, elle en est venue à être isolée en elle-même, envoyant promener le corps, et que, sans commerce avec celui-ci, sans contact non plus avec lui, elle aspire au réel autant qu'elle en est capable !" ( 'Phédon, 64, 65 )

En substance, la mort se définit comme la séparation de l'âme avec le corps. Le philosophe ne s'intéresse pas aux plaisirs de la nourriture et de l'amour et à tout ce qui concerne le soin du corps. Son souci constant est de se tourner vers l'âme, délier l'âme du commerce du corps.

La vie de sagesse est une vie de pensée. Quand l'âme essaie d'examiner le vrai avec l'aide du corps, elle est abusée par celui-ci. Elle ne peut atteindre la vue de l'être, vue qui s'obtient par le raisonnement mathématique, et lorsqu'elle n'est troublée par aucune des affections corporelles et qu'elle s'isole en elle-même.

2. Quel est cet être que l'âme philosophique aspire à connaître ?

" Affirmons nous qu'il existe quelque chose qui est juste, rien que juste, quelque chose qui n'est que beau, quelque chose qui n'est que bon ?

* Comment le nier ?
* Mais as-tu jamais vu déjà avec tes yeux aucune réalité, d'aucune sorte ?
* En aucune façon.
* Eh bien! est-ce par un mode de sensation, autre que ceux dont le corps est l'instrument, que tu les as atteintes ?

Celui d'entre nous qui se sera, au plus haut point et le plus exactement, préparé à penser, tout seul en lui-même, chacun des objets que concerne son examen, n'est-ce pas celui-là qui se sera le plus approché de la connaissance de chacun d'eux ?

Mais celui qui ferait cela de la plus pure façon, ne serait-ce pas celui qui userait de la pensée toute seule pour aller à chacun de ces objets ; de la pensée, toute seule, par elle-même, sans mélange, pour entreprendre la chasse de chaque réalité, toute seule, par elle-même et sans mélange ? "
( Phédon, 65, d e, 66, a ).

L'être que l'âme philosophique aspire à connaître, c'est l'essence de chaque objet, ce que tout objet donné est dans sa réalité même, par lui-même.
Connaître un objet quelconque, c'est se former une idée aussi juste que possible, de la réalité même de cet objet.
Cette opération s'accomplit le plus purement quand l'âme s'approche de l'objet avec la raison toute seule, par le seul raisonnement mathématique, sans l'accompagnement d'aucun sens, usant de la raison sans mélange isolée en elle-même, elle tente de captiver l'objet sans mélange isolé en lui-même.


3. La purification.

Pour accéder à cette maîtrise du corps, intervient la notion de purification

" Mais, reprit Socrate, si cela est vrai, il y a, mon camarade, un immense espoir, pour qui est parvenu à ce point de mon propre voyage, de posséder là-bas, plus que partout ailleurs et de la façon qu'il faut, ce en vue de quoi un immense effort a été accompli par nous dans la vie écoulée. De sorte que cette absence même, celle qui m'est à présent prescrite, s'accompagne pour moi d'un heureux espoir, et pour tout homme aussi qui estime prête sa pensée et, en quelque sorte purifiée.

Mais une purification, n'est-ce pas, en fait, ce qui justement est de longue date contenu dans la tradition ?
Mettre le plus possible l'âme à part du corps et accoutumer celle-ci étant elle-même par elle-même, à se recueillir, délivrée de son corps, comme si pour elle c'était des liens.

Mais ce qu'on appelle " mort ", n'est-ce pas précisément, entre âme et corps le fait d'être délié et mis à part ? C'est donc, Simmias, que ceux qui, au sens droit du terme, se mêlent de philosophie réellement s'exercent à mourir et qu'il n'y a pas d'hommes qui aient, moins qu'eux, peur d'être morts.

Aussi bien, reprit Socrate, le fait de voir un homme s'irriter d'être sur le point de mourir, ce fait ne témoigne-t-il pas suffisamment que l'homme n'est pas philosophe, n'est pas, il le montre bien, un ami de la sagesse, mais que c'est du corps qu'il est un ami.

La sagesse! ( la pensée, la phronésis, l'entendement ) que ce soit là le prix dont réellement s'achètent et se vendent courage, tempérance, justice : 1a vertu vraie dans son ensemble, accompagnée de la sagesse, et que s'y joignent ou s'en disjoignent plaisirs ou peurs, avec tout ce qu'encore il y a du même ordre!

Ils risquent fort, enfin, de n'être pas des gens méprisables, ceux qui, chez nous, ont institué les initiations, mais bien plutôt, ces grands hommes, de réellement nous donner à mots couverts, de longue date, cet enseignement : quiconque, disent-ils, arrivera chez Hadès sans avoir été initié ni purifié, aura sa place dans le Bourbier, tandis que celui qui aura été purifié et initié, celui-là, une fois arrivé là-bas, aura sa résidence auprès des Dieux. " ( Phédon, 68, 69. )

Ce texte, véritable propédeutique à la démarche qui est la nôtre, nous précise quelques notions, et surtout permet de les mettre en oeuvre au-delà des mots ou des intentions. La préoccupation essentielle du sage est de se détacher de l'enveloppe corporelle, ce qui est par ailleurs une définition de la mort.

Le vrai philosophe s'entraîne donc à mourir à la chair et à faire fructifier son esprit, dans une recherche active et réfléchie de la vertu.

Cet effort qui conduit le philosophe, est médiatisé chez nous par les procès initiatiques qui mettent en jeu les profondeurs de l'être pour accéder à ce détachement des passions humaines et au recueillement de l'âme. Les exercices spirituels post-initiatiques, par la flamme volontariste, ou par le lent chemin alchimique, spiritualisent la matière et accomplissent ce travail de mort, prélude ou préparation à l'ultime réalisation.

La " vertu vraie " n'est pas un dosage plus ou moins harmonieux de la pratique d'une vertu compensatrice du déficit d'une autre. L'homme peut être un courageux qui affronte la mort par crainte de maux plus grands. L'homme peut s'abstenir de certains plaisirs par crainte d'être privés d'autres plaisirs. Ainsi l'homme est victorieux d'un côté par ce qu'il est vaincu de l'autre. C'est ce que Platon appelle le " Troc des monnaies " : on échange plaisir contre plaisir, peine contre peine, crainte contre crainte, la plus grande contre la plus petite.

La vertu vraie demande un autre mode d'échange. La seule monnaie d'échange, c'est la pensée pure, la phronesis ( pensée, inteligence, raison). Les vertus particulières, courage, tempérance, justice, ne comptent qu'avec cet accompagnement de la pensée," que s'y joignent ou que s'y disjoignent plaisirs craintes et affections analogues ". Si la pensée, manifestation de la vigilance, est absente, on est en présence d'une vertu asservie, où il n'y a rien de sain; ni de vrai.

On retrouve cette idée d'échange dans les paraboles évangéliques du trésor et de la perle, ( Matthieu, 44, 45 ) : qui trouve le royaume des cieux doit tout quitter pour y entrer.

" Le Royaume des Cieux est semblable à un trésor qui était caché dans un champ , et qu'un homme vient à trouver : il le recache, s'en va ravi de joie vendre tout ce qu'il possède, et achète ce champ.
Le Royaume des Cieux est encore semblable à un négociant en quête de perles fines : en a-t-il trouvé une de grand prix, il s'en va vendre tout ce qu'il possède et achète cette perle."

En somme, on doit considérer les vertus--tempérance, courage, justice--, comme une sorte de purification de ces affections, et la pensée comme le moteur, l'instrument de cette purification : catharsis.
Le philosophe est un vertueux : il possède le courage, puisqu'il méprise la mort, et la tempérance, puisqu'il ne cesse de mépriser son corps.

4. La contemplation.

Il apparaît que le Phédon exhorte à une nouvelle sorte de vertu, la vertu contemplative.
La science qui permet de vivre heureux, c'est la science de l'être en soi, c'est, l'intelligence , l'entendement la phronésis,( intelligence pratique). Elle est définie comme la rencontre de l'intellect en lui-même, isolé du corps, et des essences en elles-mêmes, isolées des images sensibles, la rencontre de l'Idée pure et de l'âme purifiée.

Cette vertu contemplative se définit comme la vue de l'Idée par l'âme, cette vue ne pouvant s'accomplir que quand l'âme se détache du corps et se recueille en elle-même. Pour formuler autrement, l'âme contemplative est amenée à imiter l'objet qu'elle contemple. Et comme cet objet est absolument pur et immuable en son être, l'âme, qui l'imite, acquiert à son tour la pureté et la stabilité. Or, dit Phédon, " cet état de l'âme, n'est-ce pas ce qu'on nomme pensée ?"

5. L'immortalité de l'âme.

Cette mort déliaison cette mort-vie implique la nature sublime, éternelle de l'âme. Mourir au corps, c'est permettre à l'âme de donner la dimension divine et éternelle. Le problème de la réminiscence, de la réincarnation découle de ces notions eschatologiques.

6. Le faux pessimisme de Platon.

On est en droit de penser que cette exhortation de Platon à la mort donne une vision pessimiste de la démarche philosophique.
Beaucoup d'anciens on fait cette interprétation, notamment les mystiques, les Néopythagoriciens, les hermétistes, les gnostiques. Il faut placer cette méditation dans la perspective de l'oeuvre.

C'est la maturité de Platon, dans un temps très proche du Banquet, consacré à l'amour et à l'accession de la pensée à l'Idée du Bien, du Beau, de l'Amour, comme reflet de l'âme dans la recherche de ces vertus.
Il travaille à la République, et on doit penser qu'il est plutôt orienté vers l'exhortation à l'Education.

Ainsi le Phédon joue un rôle dans le programme éducatif et politique de la République, car la vertu vraie est la condition indispensable à la formation du gouvernant, et donc de la réforme de l'Etat.

A preuve ce passage de la République :

" En effet, Adimante, on n'a guère le loisir, quand on a la pensée attachée aux essences, de reporter les yeux en bas sur les affaires des hommes et d'entrer en guerre contre eux, l'âme pleine à leur égard de jalousie et de malveillance. Au contraire, dès qu'on regarde et contemple des objets bien ordonnés et toujours identiques à eux-mêmes, qui se maintiennent toujours sous la loi de l'ordre et de la raison, il faut bien qu'on les imite et se rende le plus possible semblable à eux. Ou crois-tu qu'il y ait moyen, quand on vit avec ce qu'on admire, de ne pas imiter cet objet ?

* Non dit-il.
* Eh bien donc le philosophe, comme il fait sa compagnie de ce qui est divin et bien réglé, devient lui-même, autant qu'il est possible à l'homme, un être bien réglé et divin. Et cependant il encourt les calomnies de la masse.

* Certes.
* Si donc, repris-je, quelque obligation le force à essayer de faire passer ce qu'il aperçoit là-haut dans la conduite des hommes, tant en privé qu'en public, au lieu de se borner à se former lui seul, sera-t-il mauvais artisan, pour façonner l'image de la tempérance, de la justice et des autres vertus civiques ?" (République, 500, b 8, d 2 ).

Le Phédon est donc le support de la République, même si l'édifice de la République s'élève plus haut. Car il ne suffit pas au philosophe de se former lui seul. Il doit se faire démiurge, il doit façonner les moeurs publiques et privées. Mais il ne peut réformer les autres que s'il s'est converti lui-même. Le Phédon décrit cette conversion par l'admirable exemple de Socrate.

mardi, août 15, 2006

Les Noces Chymiques

ROSE-CROIX

Prise de vue

Le mot « Rose-Croix » désigne certaines associations à caractère ésotérique ; les unes sont purement fictives, les autres ont réellement existé parce qu’elles se sont donné ce nom. L’adjectif correspondant est « rosicrucien », tandis que l’ensemble des doctrines se réclamant d’une société ou d’un enseignement dits « Rose-Croix » se dénomme « rosicrucisme » ou « rosicrucianisme ». Faire l’histoire de la Rose-Croix revient à fait l’histoire du mot, car la plupart de ces associations n’ont entre elles aucun lien de filiation historique.

Il n’existe pas de spécificité rosicrucienne. Tout ce qui se réclame de ce titre aux avatars innombrables ne fait que puiser dans un vaste fonds commun, celui de l’ésotérisme au sens le plus large, c’est-à-dire dans les traditions alchimique, théosophique, analogique. Ce fonds commun a toujours été du domaine public, même si l’on considère l’éveil intérieur comme le résultat d’une ascèse et d’une quête personnelle.

1. Les premiers manifestes et le « cénacle de Tübingen »

Avant le début du XVIIe siècle, on trouve des images de roses associées à des croix, mais c’est un symbole parmi tant d’autres, rien de plus. Tout commence en 1614, à Cassel, avec un manifeste en allemand intitulé : Commune et Générale Réformation de tout le vaste monde, suivi de la Fama Fraternitatis de l’ordre louable de la Croix de Rose, adressé à tous les savants et chefs de l’Europe. Ce texte, aussi poétique par son style que peu original par les idées exprimées, fait de traductions et de compilations, se présente surtout comme une satire de la situation spirituelle, morale et sociale du luthéranisme. L’auteur, bien que protestant, proclame que la rédemption ne se fait pas du dehors, mais de l’intérieur, par la voie du cœur ou l’élan mystique. La Fama Fraternitatis, lettre ouverte aux sages, résume la vie d’un personnage mythique, Christian Rosenkreutz (Croix de Rose) ; ce magicien, grand voyageur, aurait séjourné à Damas, puis serait rentré en Allemagne pour y fonder un cloître. En 1604, cent vingt ans après sa mort, on retrouva sa tombe qui contenait des formules magiques et des conseils de règle de vie. Toute la biographie est écrite dans le style et avec les expressions des grands mystiques des siècles précédents. Ce manifeste prie les savants d’Europe de se faire connaître, mais ne révèle pas pour autant l’identité de ses auteurs. En 1615, la Fama est rééditée à Francfort avec une Confession de la Fraternité, c’est-à-dire une défense contre les accusations d’hérésie ou d’interventions politiques subversives. Cette Confession promet des secrets merveilleux : santé, jeunesse, commerce avec les esprits. Dieu va rendre aux hommes, avant même le Jugement dernier, la lumière et la splendeur d’Adam perdues par la chute. Un tel texte fait penser évidemment aux nombreuses fraternités alchimiques du XVe siècle et à tous les thèmes répandus alors : règne de l’Esprit, régénération intérieure, apocalypse. À ces deux livres fait suite, en 1616, un fort beau texte en allemand, Les Noces chymiques de Christian Rosenkreutz, anno 1454, probablement influencé, comme l’a remarqué Paul Arnold, par le chant X de The Faerie Queene d’Edmund Spenser.

L’auteur des Noces est Johann Valentin Andreae (1586-1654), luthérien de Tübingen et diacre depuis 1614. Il a sans doute écrit cet ouvrage dès 1604, et il est certain qu’on peut lui attribuer un rôle essentiel dans l’invention de l’idée comme de la rédaction des fameux manifestes. On appelle « cénacle de Tübingen » le cercle constitué par les personnages qui sont à l’origine de tout ce mouvement, c’est-à-dire Andreae, Christoph Besold et Tobias Hess. Le caractère de ludibrium, de plaisanterie, inséparable de cette affaire, ne peut surprendre de la part d’Andreae, qui sait manier la malice et le mythe. Bien que, de 1615 à l’époque actuelle, quantité de faussaires n’aient cessé de brouiller les pistes, on peut affirmer qu’entre 1614 et 1620 il n’existe pas de « Fraternité Rose-Croix », à moins d’entendre par là qu’une amitié spirituelle rapprochait les amis du cénacle ; il y a surtout un jeu d’intellectuels luthériens désireux d’inciter les hommes à faire un retour sur eux-mêmes. Le jeu dégénère vite en abondante polémique, ce qui est normal à une époque aussi troublée. Il est de nature ésotérique ; cela n’est pas étonnant non plus, en un temps où l’on publie, toutes proportions gardées, autant de traités d’alchimie qu’aujourd’hui de romans. Dès 1616, Andreae se désolidarise de son petit groupe ; mais le mythe, lancé, ne cessera plus de se développer. Des associations plus ou moins solides, intéressées par le thème et le mot « Rose-Croix », se constituent ici et là. Charlatans et plaisantins s’en mêlent : un matin d’août 1623, les Parisiens lisent de curieux manifestes affichés sur les murs de leur ville : des « frères de la Rose-Croix », faisant « séjour visible et invisible » à Paris, se targuent d’enseigner mille merveilles à ceux qui les méritent. Dès lors, tout ce qui se réclamera de la Rose-Croix n’aura plus grand-chose de commun ni avec Andreae ni avec le cénacle de Tübingen.

L’inspirateur d’Andreae est probablement Thomas Campanella, auteur de la Cité du Soleil, utopie inspirée par l’œuvre de Thomas More. D’autre part, Joachim de Flore fut sans doute, avec Thomas a Kempis, le prototype de Christian Rosenkreutz. On découvre, dans les manifestes, l’empreinte à la fois diffuse et avouée de Paracelse. Eckhart et Ruysbroek avaient appelé « fils occultes » ou « cachés en Dieu » les hommes engagés sur la voie de la perfection : la Fama et la Confession reprennent ces métaphores, qui feront naître la fausse croyance en des invisibles, en une société occulte. De même, la métaphore de l’Apocalypse relative à la Pierre étincelante donne lieu à une abondante littérature sur la pierre philosophale ; mais le vrai sens de cette image sera remplacé souvent par une interprétation matérielle éloignée de celle qui est proposée par Ruysbroek dans L’Amour ou la Pierre étincelante. Enfin, le père spirituel d’Andreae et de tout le cénacle semble être un familier de la tradition alchimique, Johannes Arndt (1555-1621), auteur de Vier Bücher vom wahren Christenthum (Le Vrai Christianisme, 1610).

De nombreux penseurs se font les zélés défenseurs de la Rose-Croix. Ils se sont trompés en croyant à l’existence d’une fraternité ; mais peu importe, puisqu’ils ont exprimé, à cette occasion, des idées philosophiques ou théosophiques intéressantes. Parmi ceux-ci, Michael Maier, médecin de Rodolphe II, puis du prince de Nassau, développe un symbolisme qui se veut rosicrucien (Cantilenae intellectuales de phoenice redivivo, 1622) ; soucieux de précision dogmatique (Arcana arcanissima, 1614), il introduit dans la « doctrine » des amis de Tübingen, plus préoccupés d’exaltation mystique que de théosophie, une logique, un ésotérisme élaborés, mais assez étrangers à l’esprit des manifestes. En Angleterre, le XVIIe siècle est marqué par l’apogée de l’alchimie et l’influence extraordinaire des idées rosicruciennes : Robert Fludd se signale par un Traité apologétique (1617) destiné à défendre la « Société rosicrucienne » contre ses adversaires de tout bord. De même que Maier, Fludd profite de cette polémique pour défendre ses propres idées, imprégnées de kabbale ; et c’est cela, au fond, qui est le plus intéressant. En France, c’est aux rose-croix que l’alchimiste Michel Potier dédie son Nouveau Traité de la pierre philosophale (1617). On s’est diverti à trouver des traces de rosicrucisme chez certains hommes célèbres. N’en déplaise aux esprits crédules, Descartes n’a jamais fait partie d’une société se réclamant des rose-croix. Francis Bacon, que des rêveurs impénitents ont voulu identifier à Shakespeare, tout en prétendant qu’il fut rose-croix, a écrit Nova Atlantis (1625), beau roman initiatique dont le style fut sans doute influencé par le voyage de Christian Rosenkreutz : des naufragés, guidés par une croix céleste, parviennent à l’île de Bensalem, sur laquelle ils trouvent une société initiatique idéale. On a voulu voir également du rosicrucisme chez Leibniz et chez bien d’autres ; jeu stérile, puisque au XVIIe siècle l’ésotérisme moniste est de toute manière la philosophie de presque tous les gens qui pensent.

2. Les cercles allemands du XVIIIe siècle

Au siècle des Lumières, les sociétés groupées sous le nom de « Rose-Croix » existent surtout en Allemagne, où elles prennent le nom encore plus poétique de « Rose-Croix d’or » (Gold- und Rosenkreutz). Il s’agit de groupements épars, sans liens réciproques, et généralement préoccupés d’alchimie. Il faut beaucoup d’imagination pour voir une « filiation » ininterrompue entre ces groupements et les manifestes d’Andreae. Certes, l’expression Gold- und Rosenkreutzer avait déjà été employée à deux ou trois reprises au début du XVIe siècle (par Petrus Mormius notamment) ; et le théosophe Samuel Richter, alias Sincerus Renatus, surtout, l’avait répandue par un écrit de 1709 consacré à la pierre philosophale, dans lequel on trouve déjà un projet de statuts pour une société portant ce nom, si bien qu’à la suite de Richter d’autres auteurs (dont J. H. Schmidt, alias Hermann Fictuld, en 1747) affirment l’existence d’une société des Rose-Croix d’or, détentrice des vrais arcanes hermétiques. Toutefois, c’est seulement ensuite, et pas avant 1755, qu’on découvre une trace historique palpable de cercles de ce nom : en Allemagne du Sud, en Europe centrale, à Francfort ; ils recrutent des gens importants, comme Stanislas II, roi de Pologne. Aucune de ces sociétés ne semble avoir été maçonnique, mais bon nombre de leurs membres sont également francs-maçons.

Tout à coup, en 1777, l’un de ces cercles manifeste une suprématie quantitativement indiscutable, celui des « Rose-Croix d’or d’ancien système » (Gold- und Rosenkreutzer älteren Systems) ; il se compose de neuf hauts grades et utilise des rituels passionnants pour l’historien du symbolisme. Au cours des deux années suivantes, de nombreux francs-maçons, assoiffés de mystère et d’ésotérisme, quittent leurs loges maçonniques de la Stricte Observance templière pour se rallier à ces Rose-Croix d’or d’ancien système. En même temps, deux membres de l’ordre contribuent à son renom : F. J. W. Schröder, médecin alchimiste, et F. C. Œtinger, qui fut le plus grand théosophe allemand du XVIIIe siècle. Il faut mentionner trois autres personnages dont l’histoire se confond avec celle de cet ordre : Joseph Schleiss zu Löwenfeld, alias Phoebron, mériterait une belle monographie ; Bischoffswerder et Wöllner sont plus connus. Entré d’abord à la Stricte Observance templière, disciple du magicien Schrepfer, J. R. Bischoffswerder s’affilie aux Rose-Croix d’or d’ancien système, y fait entrer un obscur pasteur de la Marche, J. C. Wöllner ; tous deux initient ensuite à leur société le futur Frédéric-Guillaume II de Prusse : le 8 août 1781, grâce à des procédés « magiques », Bischoffswerder évoque pour la circonstance, au château de Charlottenburg, au milieu du tonnerre et des éclairs, les esprits de Marc Aurèle, de Leibniz et du Grand Électeur. Fait historique de grande portée ; en effet, dès qu’il monte sur le trône en 1786, Frédéric-Guillaume II nomme ses deux initiateurs, l’un, Wöllner, ministre d’État et des Cultes ; l’autre, Bischoffswerder, ministre de la Guerre. Pourtant, c’est à ce moment-là que l’ordre disparaît tout à coup, ses deux grands maîtres devenus ministres lui imposant un silanum général, probablement parce qu’ils n’ont plus, dès lors, besoin du rosicrucisme pour s’assurer une carrière ; à cela s’ajoute le fait que le cabinet autrichien limite considérablement le nombre de loges tolérées. Avant ces mesures, il est probable que les Rose-Croix d’or d’ancien système comptaient plusieurs milliers d’adhérents.

La littérature de ce milieu est intéressante pour l’historien de l’alchimie. On peut citer : Annulus Platonis (1781-1782) ; Der im Lichte der Wahrheit stehende Rosenkreutzer, de Schleiss zu Löwenfeld (1782) ; Geoffenbarter Einfluss... der ächten Freimaurerei, de H. K. von Ecker und Eckhoffen, alias Plumenoeck ; Compass der Weisen, de Ketmia Vere ; et surtout les magnifiques planches en couleurs des Geheime Figuren der Rosenkreutzer (1785-1788). Ces livres connaissent alors un vif succès auprès du public cultivé, car il n’y est pas question seulement de transmutation alchimique, mais aussi de philosophie, de symbolisme, de théosophie.

Il est enfin à remarquer que le mot « Rose-Croix » est employé aussi, au XVIIIe siècle, dans un second sens, pour désigner certains hauts grades maçonniques. Cet emploi est resté très fréquent. Il n’y a évidemment aucun rapport de « filiation » entre cet autre sens et les données historiques qu’on vient d’évoquer, la seule ressemblance étant qu’il s’agit, dans les deux cas, de symbolisme ésotérique ; mais on pourrait dire cela, en fait, de tous les hauts grades. Le mot, dans ce sens, connaît même des variantes ; ainsi, Martines de Pasqually, théosophe thaumaturge et « premier maître » de Saint-Martin, prodigue à partir de 1754 un enseignement théosophique et théurgique de caractère maçonnique, avec un système de hauts grades dont le plus élevé est celui de « réau-croix », c’est-à-dire, dans le langage martinésiste, « puissant prêtre ».

3. Les ordres contemporains

Aux XIXe et XXe siècles, comme par le passé, on s’empare d’un nom sonore et fascinant sans se donner la peine de préciser la doctrine enseignée par ceux qui avaient été les premiers à se réclamer de lui. On se contentera de citer quelques noms d’ordres créés çà et là ; la liste est loin d’être exhaustive. En 1867 naît en Angleterre la Societas Rosicruciana in Anglia, qui est d’inspiration authentiquement chrétienne et dont les rituels sont empreints d’un symbolisme « traditionnel » au meilleur sens du terme. Plusieurs de ses membres – dont Samuel L. Mathers, beau-frère de Bergson – s’en détachent pour créer en 1887 une société dissidente, la Golden Dawn in the Outer, dont fait partie Bulwer Lytton et qui est destinée à mettre en œuvre les voies actives de la magie. L’important ouvrage de la Golden Dawn, dû à Israël Regardie et intitulé The Golden Dawn (1937-1940), somme de théurgie et de kabbale occidentale, contient des développements sur le symbolisme de la rose et de la croix. En Allemagne, l’ordre de la Rose-Croix ésotérique, fondé en 1888 par Franz Hartmann, s’inspire des idées de Fictuld sur la Rose-Croix d’or. La même année, Stanislas de Guaïta fonde l’ordre kabbalistique de la Rose-Croix, dont font aussi partie Papus et Peladan ; le terrain avait été préparé par Eliphas Levi. Mais Peladan se sépare de cet ordre pour créer une société dissidente, l’ordre de la Rose-Croix, du Temple et du Graal, appelé aussi Rose-Croix catholique. Le XXe siècle s’ouvre avec l’Association rosicrucienne de Max Heindel, aux États-Unis, préoccupée d’astrologie et dont font partie de nombreux guérisseurs ; elle existe toujours et compte des milliers d’adhérents ; son centre se trouve à Mount Ecclesia, près de Los Angeles. En Angleterre, en 1912, les membres de la franc-maçonnerie mixte créent un ordre du Temple et de la Rose-Croix ; Annie Besant, l’une de ses fondatrices, invente à cette occasion une histoire stupéfiante sur les réincarnations successives de Christian Rosenkreutz.

C’est l’A.M.O.R.C. (Antiquus Mysticusque Ordo Rosae Crucis) qui reste l’ordre le plus important quantitativement. Organisé en 1909 par Harvey Spencer Lewis, son siège international se trouve à San José (Californie). L’A.M.O.R.C. se réclame assez vaguement de l’idéal initiatique des premiers rose-croix du XVIIe siècle ; la filiation restant indémontrable, il allègue diverses « transmissions ». L’enseignement comporte, outre les travaux collectifs, une pédagogie tendant à développer la personnalité spirituelle de ses membres, qui reçoivent généralement leurs initiations dans les loges. Cet ordre est bien connu du grand public par l’intense publicité à laquelle il se livre dans le monde entier ; selon ses propres affirmations, il atteindrait un effectif de six millions de membres, dont cent mille en France. Il est assez bien représenté dans les États africains (20 p. 100). On retrouve plusieurs éléments de la Golden Dawn dans ses grades terminaux. Mentionnons enfin deux autres obédiences : l’étrange fraternité des Polaires, qui, fondée sur une méthode oraculaire enseignée par Zam Bathiva, se prétend une résurrection de la « vraie Rose-Croix » ; et l’École internationale de la Rose-Croix, ou Lectorium Rosicrucianum, dont le siège est aux Pays-Bas, et qui s’inspire à la fois des cathares, du Graal et de la Rose-Croix. Elle se veut gardienne des antiques mystères chrétiens et publie des livres d’initiation mystique.

lundi, août 14, 2006

IDOLÂTRIE ET TOTALITARISME - suite

C. L’équilibre relationnel de la cité et ses faiblesses.


Il nous faut maintenant nous tourner vers la communauté des hommes pour analyser l’existant.
Avec les profils psychologiques que nous renons de voir, qui peuvent être seulement des tendances ou des traits de caractère, nous ne pouvons passer sous silence les expériences de la vie qui prédisposent à l’éclosion d’un processus aliénant. Nous sommes en effet modelés par notre environnement familial, scolaire et professionnel, obligés que nous sommes de nous fondre dans la communauté des hommes. Nous ne pouvons ignorer l’apport lié à l’éducation des parents au cadre institutionnel de l’école, au carcan du service militaire ou aux structures de la vie professionnelle. Cette «formation» aboutit à une intégration harmonieuse s l’ordre social avec, à la clef les promotions et récompensés liées au comportement dans un système hiérarchique. Dès lors se pose la question de savoir si notre bagage éducatif nous prédispose à perdre une part de notre liberté ? Là encore l’influence de l’autorité et l’allégeance à celle-ci nous obligent, par ce biais des acquis, a une soumission. Doit-on parler ici d’obéissance librement consentie sous le prétexte que nous sommes dans un cadre légitimé par un corps social démocratiquement défini ?

Il faut pourtant admettre que l’homme semble tendre vers quelque chose d’autre que son moi individuel. Et certains êtres paraissent destines à combler cette aspiration. Ainsi peut naître l’aliénation à l’autre. Ce désir de possession tient à ce que l’anglais Thomas Hobbes appelle le calcul rationnel de l’avenir qui transforme l’instinct de survie ou de conservation en volonté de puissance. Or qu’est-ce que la puissance de l’homme sinon. dit-il. « …l’ensemble des moyens dont il dispose pour l’obtenir, à savoir accumuler les pouvoirs afin d’élargir une marge de sécurité estimée toujours insuffisante par rapport à l’angoisse présente. La meilleure des assurances sur l’avenir est bien évidemment ce que nous devons e nos semblables par leur concours».

Thomas Hobbes, né en 1588, étudie à Oxford et, en 1608, devient le précepteur du fils de Lord Cavendish, comte de Devonshire.
En 1610, Hobbes est à Paris, au moment de l'assassinat d'Henri lV. Sa vie sera d'ailleurs marquée par ses voyages faits à Paris (de 1629 à 1631 et de 1634 à 1636). En 1640, se croyant menacé, il s'exile en France où il restera jusqu'en 1651. C'est pendant cette période que paraissent le De Cive (1642) et le Léviathan (1651).
De nombreuses polémiques avec les savants et les théologiens de l'époque agiteront la vie de Hobbes après son retour en Angleterre (on l'accuse d'athéisme et certains le rendent même responsable de la grande peste !).
Hobbes est mort le 4 décembre 1679. Hobbes, qui a longuement médité sur la Politique d'Aristote, s'oppose à la tradition aristotélicienne selon laquelle l'homme est un animal naturellement social. Pour Hobbes, l'homme est sociable non par nature, mais par accident. L'état de la nature (status naturalis), état caractérisé par la guerre de tous contre tous (" l'homme est un loup pour l'homme ") et dans lequel vivent les hommes avant de s'engager mutuellement selon un contrat.


C’est pourquoi nous avons tendance à vouloir dominer les autres afin de les garder à disposition pour un futur éventuel et sécuriser ainsi notre avenir toujours hypothétique. Née d'un besoin constant de sécurité, la course au pouvoir, quelle qu'en soit la forme, est donc un des fondements des relations entre les hommes. Et les passions que génère ce besoin vital sont autant de chemins pour parvenir à ses fins. Ainsi amour et haine correspondent-ils à un niveau de conscience où ces deux sentiments opposés aboutissent à des actes dans un contrôle inter humain incessant.

Idéalement cependant la mise en commun des puissances individuelles est la seule voie possible qui évite la puissance d'un seul dira Spinoza, par un consensus communautaire de type démocratique qui déléguera à certains la capacité d'exercer directement la souveraineté collective. Cet emboîtement des individus en un individu unique amènerait a ce conatus, ensemble des conati.

Cet idéal est bien trop souvent voué à l'échec, quand ce que Spinoza appelle «l'ambition de gloire» amène l'élu à faire ce qu’aiment les hommes dans le seul dessein de leur plaire. Cette démagogie devient Alors le germe possible d’idolâtrie. Si la réussite est au rendez vous, il peut naitre, un désir de gloire constamment renouvelé, qui va porter a son comble l’exaltation du moi.

Face à la naissance d'un système idolâtre, louange ou blâme seront la sanction des actes entrepris. Cette dépendance progressive aggravera l'importance que prend l'opinion d'autrui. La recherche des honneurs et de la gloire est un panaché d'altruisme et d'égoïsme. Etre heureux de la joie que je donne aux autres est la même chose que m'aimer moi-même ! Dans un autre registre. « sans vous, je ne suis rien dira un chanteur a ses fans ! Cri combien révélateur de l'idole qui pour vivre sa relation à autrui et conserver son image, reste obligée de leur restituer les signifiants de leur dépendance réciproque ! Mais pour Hobbes, cette exigence de la reconnaissance ne peut aboutir qu’à l'instauration d'un rapport maitre-esclave, point d’orgue de l’aliénation passionnelle.


Pour peu qu'une divergence progressive s'instaure, ou le système des valeurs proposées est contraire a celui de la communauté, vient alors l’ambition de domination pour le maintien des acquis. Le moi veut être alors le tyran de tous les autres, volonté de puissance et désir de gloire menant a la loi du tout ou rien, aucun compromis n'étant possible lorsqu'une minorité, voire un individu, veut imposer son système de valeurs. Il ne s’agit plus, comme veut l'entendre Spinoza, d’une recherche par la domination pour se glorifier de l’approbation imposée, mais bien plutôt d’un appétit de domination, comme le pense Hobbes. Pour le leader, l’ambition va cimenter la société des hommes tout en menaçant d’autodestruction son caractère communautaire. Ainsi naît l’abus de pouvoir.

samedi, août 12, 2006

IDOLÂTRIE ET TOTALITARISME

L’idolâtrie et le totalitarisme ont des points de convergence chez l’homme, sur les plans psychologique, relationnel et politique (dans la cité). Aussi allons-nous tenter de montrer les raisons qui nous obligent, plus que jamais à nous préoccuper en hommes responsables, épris de liberté, de ces deux fléaux que sont idolâtrie et totalitarisme dont nous savons qu’ils restent toujours d’actualité.

Nous verrons la permanence de l’idéalisme comme moyen d’exploitation de la dépendance et de l’aliénation psychologique. Nous retrouverons l’interrelation domination-soumission du libre arbitre et de la liberté de conscience. Enfin, la manipulation mentale, individuelle ou collective, viendra en toile de fond nous rappeler que nous avons sans doute une mission personnelle et communautaire a remplir.

L’homme peint sa vie dès sa naissance et même, pour certains, dès avant celle-ci. Très peu tiennent le pinceau préférant le confier, à d’autres par contrainte trop souvent, par idéalisme aussi et pour beaucoup par lâche abandon et soumission consentie. Rester maître de ses pensées comme de ses actes signifie maintenir intacte sa liberté et affirmer sa responsabilité.

Nous ferons tout d’abord un court retour à l’étymologie pour découvrir qu’idolâtrie et totalitarisme ont un point commun qui .est l’interdépendance des êtres. Nous verrons ensuite les profils psychologiques propices à leur gestation, et en particulier le face à face du psychotique passionné et du passionné névrotique. Nous poursuivrons par un aperçu sur l’équilibre relationnel de la cité et l’approche de ce qui prédispose à l’installation d’un processus aliénant. Nous parlerons des grandes contraintes qu’il faut lever pour instaurer un système idéal protégé : la démocratie. Nous énumérerons les déviances possibles comme la théocratie, la manipulation et son arme, l’idéologie qui a pour corollaire la perte de la volonté. Nous décrirons succinctement leur résultante, l’idéologie du régime totalitaire et des sectes, avant de conclure en évoquant ce que sont devenus totalitarisme et idolâtrie aujourd’hui.


A. Rappel étymologique

Le terme idolâtrie est de racine grecque: eidololatrez venant de eidolon eidolon, image et latreuein latreuein adorer. L’attitude idolâtre est d’abord de professer une sorte de culte, une passion pour une personne ou une représentation à qui l’on prodigue des louanges et des honneurs comme un être divin. C’est aussi l’acte de rendre à un homme ou une image le culte souverain dû à la seule divinité. C’est aussi sur un plan profane, manifester pour un homme sortant du commun, pour ses qualités physiques ou artistiques, un comportement psychophysique démesuré.

Le nom de totalitarisme est quant à lui de racine latine. Totus s’employant lorsque l’on considère les hommes non dans leur unité mais leur totalité. Il se définit alors comme un système politique qui sans admettre la moindre tonne légale d’opposition, le rassemblement en un bloc unique de l’ensemble des citoyens a son service. C’est aussi un idéal politique qui considère le « tout social » comme ayant seul une valeur en lui-même, les individus n’étant que des organes a son service.


Dans cette approche nous pouvons affirmer qu’associer idolâtrie a totalitarisme ne pourrait se concevoir s’il ne s’agissait que d’étudier leurs mécanisme de fonctionnement. Nous nouons dire en revanche que le véritable problème qu’ils soulèvent tous deux réside dans le fait qu’ils sont des instruments redoutables de la manipulation humaine. Le comportement qu’ils génèrent mérite notre réflexion, qui puise son origine dans les traits de caractère propres a l’homme, dans ses tendances psychologiques intimes, et dans les comportements qu’il peut avoir au sein de la société dans laquelle il s’inscrit.


Il semble donc tout a tait plausible d’imaginer qu’idolâtrie et totalitarisme naissent et prennent corps entre des hommes aux caractères psychologiques complémentaires. Chacun d’entre nous en effet présente en soi une personnalité qui le place en situation d’être sujet ou objet dans cet échange sensible qu’est la manipulation. Chaque individu est doublement esclave d’un surmoi autoritaire et d’un patron maître écrivait Roudinesco. Idolâtrie et totalitarisme sont donc inhérents à l’esprit humain qui tend à obliger les hommes à vivre ensemble dans des systèmes communautaires de type idéal. Le mot d’idéalisme s’impose à notre réflexion: c’est lui qui fera dire a Nietzsche qu’il est-« un monde d’illusions capables d’entrainer les pires déchainements passionnels ». Formulons quant a nous que c’est cet idéalisme qui ramène toute existence à la pensée !

B. Les profils psychologiques propices

Sans donner d’autre définition disons que le mécanisme de l’idéalisme est de rassembler les esprits autour d’un but commun généré .par une doctrine pour l’atteindre. Nous avons tous un idéal mais nous serions naïfs de penser que tout peut se réduire à lui ! En revanche l’idéal convient au paranoïaque. Craignant le monde, le paranoïaque entreprend de le simplifier pour mieux le maîtriser. Il réduit sa pensée à des formules simples et percutantes. Il affine par des slogans et des formules magiques, sa force de persuasion. Il coupe ses affirmations péremptoires de toute vérification ou critique, deux outils que redoute particulièrement l’esprit totalitaire.

Il est bientôt animé du désir de réaliser une société parfaite ou les contraintes soient nulles et où les individus fusionnent dans le bonheur. Apres cette phase intuitive, si la société des hommes est fragilisée, l’occasion lui sera donné de mettre en place une structure permettant de passer a l’acte selon une logique parfaite, des conclusions inéluctables des projets évidents, le tout s’appuyant sur une idée maîtresse ou la raison a été dupée par la passion.

Pour cela il sera entouré d adeptes qui serons sous .le charme d’un idéal a la puissance absolue, placé au dessus du monde extérieur corrompu qu’il faudra un jour purifier. Ces fanatiques vont favoriser l’éclosion de sa mégalomanie. Rempli d’orgueil et d’inflexibilité le guide va imposer ses idées structurantes au groupe. Idolâtre il construira sa première église, sa première secte.

Totalitariste il formera les cadres d’un groupe organisé et structuré. Les adeptes idolâtres comme les sections policées totalitaires seront donc en place. Prêchant ses idées, il va créer l’union de tous éliminant toute différence, punissant route dissidence ou rivalité.


A la fois partenaire et victime de ce passionné psychotique, nous trouvons le passionné névrotique, avide d’idéal, prêt à adhérer a tout un système qui va lui donner d’éprouver une jouissance orgueilleuse a écouter ce guide qui le stimule et le galvanise. Il a enfin trouvé un havre de repos, de sécurité et de facilité à exister à l’ombre d’un roc spirituel pensant clairement pour lui. C’est lui qui fera bientôt le ménage de tous ce qui lui sera défini comme bas, vil, mal connu ou imparfait prodrome de ce qui deviendra intégrisme, xénophobie ou racisme.

D’autres types psychologiques viendront aussi grossir les rangs. Ils sont caractérisés par leur personnalité obsessionnelle: le goût de l’ordre, du rangement, le plaisir de l’action et du contrôle, le besoin d’exactitude, l’obstination, l’autoritarisme, le perfectionnisme, la certitude de faire mieux que les autres, le purisme, et a l’opposé, l’obséquiosité, la frustration, l’attachement a la discipline, le conformisme et le moralisme exemplaire, autant de traits de caractère rencontrés selon des intensités variables.

mardi, août 08, 2006

LE TEMPS PHYSIQUE

Préambule : Trois aspects du temps nous sont familiers. Ce sont la chronologie la durée et la simultanéité. Le temps de la Physique est basé sur ces trois concepts dont chacun donne un éclairage particulier a cette notion complexe avec à la clé des implications profondes dans les théories physiques.

La durée est l’aspect mesurable du temps. Sa mesure utilise des phénomènes périodiques comme la rotation de la Terre ou les vibrations d’ondes électromagnétiques. Cependant pour des durées géologiques ou cosmologiques on est conduit à s’adresser à des phénomènes évolutifs
.
La chronologie est un ensemble ordonne de repères dans le temps qui permet de décrire la succession des événements. Elle est rendue possible grâce à l’irréversibilité du temps, ou flèche du temps dont, la discussion
nous réfère à l’entropie et au principe de causalité.

Enfin la notion de simultanéité, qui parait si naturelle a été révolutionnée par la théorie de la relativité qui distingue le temps propre des temps coordonnés et lie indissolublement le temps et 1’espace. Une des conséquences est le paradoxe des jumeaux de Langevin qui se vérifie quotidiennement dans les accélérateurs de particules.

1. Introduction

Le temps est partout. Nous en avons conscience de façon ininterrompue, vivant dans un présent coincé entre un passé qui se cristallise dans nos souvenirs et un futur plein d’inconnu. Cette conscience du temps est une donnée indissoluble de la vie, mais comment le définir ? Saint Augustin disait
« Si on ne me le demande pas, je crois savoir ce qu’est le temps, mais si on me le demande, je ne le sais plus. »

C’est le rôle du physicien que d’essayer sinon de le définir du moins de le quantifier. Car en effet, le temps n’est pas seulement présent dans la vie, mais est indissolublement lié au mouvement, ce phénomène omniprésent au point qu’on a pu dire que, sans mouvement il n’y a pas de temps. En effet imagi
nons un domaine fermé sans aucune interaction avec l’extérieur, et contenant un solide à la température du zéro absolu. Rien ne bouge pas même les atomes du solide. Comment pourrait-on repérer le temps qui passe? Ce serait impossible car rien ne change et il n’y a donc aucun repère dépendant du temps.

Mais s’il n’y a pas de temps sans mouvement le temps n’est pas le mouvement: il n’en est qu’une composante avec l’espace dans lequel il s’inscrit par un changement de position. Nous rejoignons ici la relation temps-vie puisque aussi bien la vie est également mouvement.

Nous avons ainsi mis en évidence deux points fondamentaux :
• Le mouvement est un révélateur du temps qui passe
• L’espace est intimement lié au mouvement donc au temps

2. Les trois aspects du temps

Nous appréhendons le temps sous trois aspects différents :
A - la durée : C’est une notion qui se doit d’être définie de manière, univoque quels que soient le lieu ou l’
époque. Un record sportif sera en effet battu dans un autre stade à un autre moment. Ainsi les chronométrages effectués dans les deux cas doivent se rapporter à la même unité de temps pour que sans contestation possible on puisse dire que le second temps est inférieur au premier. L’unité de temps doit pouvoir être diffusée tout en restant intangible dans le temps et l’espace.

B - L’échelle de temps : C’est la propriété qui permet de dater un événement et de le placer parmi d’autres. Idéalement une échelle de temps pourrait être construite en ajoutant l’une après l’autre des unités de temps. En fait ce n’est pas nécessaire. Il suffit que deux événements A et B s’étant produits successivement dans cet ordre on ait :
date de A <>

C - La simultanéité : C'est une notion de bon sens qui nous semble immédiate: deux événements sont synchrones ou simultanés s'ils se sont produits à la même date. Or il se trouve que c'est celle qui pose le plus de problèmes au physicien moderne et qui conduit à la relativiser, si ce n'est même â la rejeter.

3. Le temps-durée

C'est par excellence le temps de la physique classique. Pour 1-appréhender on s'est tourné depuis des millénaires vers des phénomènes répétitifs périodiques. Ainsi en est-il de la succession des jours. Pour les durées plus courtes ce fut plus difficile jusqu'à l'invention des horloges à balancier. Mais la longueur du balancier battant la seconde dépend de la latitude. Aussi ce ne fut qu’un instrument d'interpolation des observations de la rotation de la Terre cette dernière étant supposée être régulière. La seconde était alors définie comme la 86 400 eme partie du jour moyen.

Puis l'invention des horloges à quartz basées sur les vibrations régulières d'un cristal de quartz et bien plus précises que les horloges à balancier a permis de montrer que la rotation de la Terre présente de nombreuses irrégularités imprévisibles et que c'était une bien mauvaise unité de temps. Après quelques années vers 1950-60 au cours desquelles on a cru pouvoir remplacer la rotation de la Terre par son mouvement autour du Soleil on est passé à une définition purement physique d'une seconde basée sur la fréquence d'une radiation de l'atome de césium dans des conditions bien définies. C'est toujours elle qui a cours.

La seconde est la durée de D = 9 192 631 770 périodes exactement de l'onde électromagnétique émise ou absorbée par un atome de césium 139 lorsqu'il passe du niveau d'énergie F3 à F4 ou inversement ramené par des corrections à la température 0 kelvin (zéro absolu) en absence de champ magnétique et d'effet Doppler de variation de fréquence due a la vitesse des atomes par rapport au récepteur.

Cette fréquence étalon est fabriquée par des étalons primaires de fréquence. Un four porté à une température d'environ 100° laisse s'échapper un jet de césium gazeux qui traverse des aimants qui dévient différemment les atomes à des états différents et ne laissent entrer dans la cavité que des atomes à l'état F4. Un synthétiseur de fréquence piloté par un oscillateur à quartz produit une fréquence et émet dans la cavité des ondes radio à cette fréquence. Les photons ainsi produits stimulent les atomes et les font passer à l'état F3.

A l'heure actuelle ces étalons atteignent une exactitude relative évaluée pour la meilleure d'entre elles à une erreur d’une seconde en 6 millions d'années. Ces nombres sont cohérents avec la précision requise par les techniques de télécommunications pour synchroniser les stations émettrices et réceptrices sur Terre ou sur des satellites.

4. Les échelles de temps

La base théorique permettant d'établir des échelles de temps réside dans l'irréversibilité du temps qu'on appelle aussi la flèche du temps et qui exprime la dissymétrie fondamentale passé-futur. C'est évidemment conforme à notre expérience quotidienne mais les fondements en théories physiques ne sont pas évidents. En effet, de nombreuses lois physiques sont symétriques par rapport au temps en ce sens que les équations qui les décrivent sont insensibles à une transformation de t en -t. ce qui conduit à rejeter comme physiquement inacceptables la moitié des solutions. C'est le cas par exemple de la Mécanique céleste qui permet dé prévoir les mouvements des planètes et des satellites.

En fait. il s'agit de lois idéales car en pratique même les phénomènes les plus purs ne sont pas exempts d'effets supplémentaires irréversibles. Il s'agit d'effets dissipatifs qui transforment l'énergie de mouvement en chaleur ou rayonnements. Ainsi quand l'automobiliste freine le frein s'échauffe mais ce n'est pas en refroidissant lé frein qu'on va accélérer le véhicule.
Un verre brisé ne se reforme pas tout seul. C'est le fameux deuxième principe de Carnot qui conduit à la notion d'entropie qui ne peut évoluer que dans un seul sens. L'énergie noble (mouvement,. électricité) se dégrade en créant de l'énergie de second type (chaleur,. rayonnement) qui ne peut se transformer en énergie noble qu'avec un rendement réduit :

Ainsi, le temps s'écoulant toujours dans le même sens, on peut établir une chronologie. Nous avons dit que l'idéal est de la former en mettant bout à bout des secondes. Une telle échelle de temps existe depuis 1957 et s'appelle Temps Atomique International (TAI) et c'est d'elle que dérive le temps légal. Sa réalisation s'est améliorée d'un facteur 10 000 depuis cette date si bien qu'on ne peut pas comparer des durées de cette époque et actuelles avec toute la précision des étalons présents c'est-à-dire tout de même à 10-11- près.

Toutefois, on a voulu que le temps usuel soit tel que la rotation de la Terré reste toujours voisine à une seconde près de 86.400 secondes. Or la rotation de le Terre ralentit inexorablement.
Ce ralentissement n'est pas régulier et il faut constamment le mesurer. Pour le rattraper, il faut de temps en temps ajouter une seconde a la journée (un 30 juin ou un 31 décembre) , ce qui fait que les jours ne sont pas tous égaux. Cette échelle de temps est le Temps Universel (TU ou UT). Les temps légaux en diffèrent par un nombre entier d'heures (ou, dans certains pays comme l:'Inde. de demi-heures)

Pour des temps plus longs, pour les besoins de la vie publique ou encore pour les historiens, l'échelle courante de temps est fournie par les calendriers qui permettent de classer les événements dans l'ordre des jours de leur occurrence. Les divers calendriers sont des constructions conventionnelles qui ne recherchent pas l'égalité des durées des composants (mois. années). Notre calendrier dit grégorien depuis la réforme du calendrier julien par le pape Grégoire XIII commence le 1 janvier de l'année 1 et est étendu vers le passé par des années négatives dites avant Jésus Christ à partir de l'année -1. Ceci pour dire que l'an 1 était la première année de notre ère l'an 2000 est la 2000, année de notre ère.

Ces calendriers ne nous mènent pas bien loin dans le passé. Pour dater des événements plus anciens on s'adresse à des phénomènes irréversibles dont on connaît la vitesse d’évolution. Il s’agit de la radioactivité naturelle. Un élément radioactif se désagrège d'une façon exponentielle c'est-à-dire que étant donnée une quantité d'atomes N en un temps t on n’en retrouvera plus que N/2 au bout d'un temps t+D. La durée D est appelée demi-durée de vie de l'atome.

Si pendant ce temps la, l’environnement chimique est resté stable, on doit retrouver N/2 atomes résidus mélangés aux N/ 2 atomes originaux. Au bout du temps 2D il restera N/4 et du temps 3D, N/8 etc.…et il y aura respectivement 3N/ 4 ,7N/ 8. etc. d'atomes résiduels. Le rapport du nombre d'atomes originels et résiduels permet de dater l'échantillon en fonction de D

Les valeurs de D sont très variables selon les éléments.
Les désintégrations les plus utilisées pour dater les roches les objets préhistoriques ou même les cailloux lunaires sont :

• a- Le carbone 14 : les dernières 30 000 années (D= 5730 ans)
• b- Le thorium 230 : jusqu'à un million d'années
• c- L’uranium 235 et 236: jusqu'à plusieurs milliards d'années

On peut également dater des objets auxquels on n'a pas accès: les étoiles et même l'Univers. Par exemple on estime à 4.8 milliards d'années l'âge du Soleil. Pour cela on admet un postulat: les lois de la physique sont les mêmes partout dans l'Univers et l'ont toujours été. Il y a des moyens de le vérifier par l'analyse du rayonnement qui nous provient des galaxies les plus lointaines et qui montre que les atomes se comportent toujours de la même manière et émettent des radiations aux mêmes longueurs d'onde.

On applique ces lois à ces conglomérats de matière chaude que sont les étoiles et on calcule des modèles mathématiques qui décrivent la manière dont évoluent les paramètres physiques observables (température, composition chimique. vitesse de rotation et toute autre information que l'on peut tirer de l'examen de leur spectre). Ces informations sont comparées avec les observations qui valident ou non ces modèles. Ainsi on a pu montrer que les étoiles les plus vielles ont un âge compris entre 11 et 13 milliards d'années ce qui est cohérent avec l’âge que l'on déduit de l'expansion de celui-ci.

Mais alors nous arrivons sur une butée : c'est ce que l'on appelle le Big Bang, au-delà duquel on ne peut plus rien savoir. Ce point singulier serait l'origine du temps comme de l'Univers.

Ce qui a pu se passer au tout début de l'Univers est un domaine dont la théorie touche a la physique des très hautes énergies que même les accélérateurs de particules les plus puissants ne peuvent pas atteindre. C'est dire que la succession des événements primordiaux est loin d'être établie.