jeudi, septembre 28, 2006

Le saint Empire Romain Germanique et les deux Frédéric

Introduction

Le Saint-Empire romain germanique ou l'avènement de ce que nous appelons la Jérusalem Céleste ou « le Saint-Empire spirituel ».
Nous aborderons ici en plus le mythe du Saint Empire, développé par Dante dans De Monarchia.

Frédéric

« Fréderic » constitue à la fois un axe de réflexion et une clé symbolique. Si Fréderic II de Hohenstaufen et Fréderic II de Prusse ont bel et bien existé on ne peut nier que leur œuvre à laisser quelques traces jusqu’á nous.

Leur prénom n’est pas le fruit du hasard. Il a un sens qu'il n'est pas inutile de souligner dès le début ce travail.
Son étymologie est Friede Reich, le Royaume (ou l'empire) de la paix.

Ce nom en porte donc une signification et une puissance que l'on ne peut ignorer. En outre il est l'équivalent de « Salomon », ou plus exactement de Shelomoh qui signifie «Paix ». Les deux triangles équilatéraux inversés qui forment son sceau symbolisent bien la totalité de l’univers.

La pointe dirigée vers le haut symbolise le spirituel celle tournée vers le bas le matériel et le point central la totalité du cosmos. C'est donc cette totalité qui constitue le Royaume de la Paix et non pas l'une ou l'autre partie du monde de la manifestation.

Le roi d'Israël et Frédéric de Hohenstaufen ont eu somme toute, des destines assez parallèles. Dans la première partie de leur règne ils ont bénéficié d'un mandat du Ciel, mandat qui leur est ensuite retiré et leur aventure se termine assez mal. Salomon trahi, le royaume d’Israël est divisé en deux après sa mort puis c est la captivité à Babylone. Paradoxalement Frédéric incompris par ses contemporains, doit faire face aux révoltes aux conjurations et aux condamnations pontificales.

Dans la lutte gibeline, l’exotérique supplante l'ésotérique, et les coups les plus rudes sont portés par le pouvoir papal allié au parti guelfe. L'histoire sacrée nous lègue de Salomon une image qui est celle du « sage », tout à l'inverse de celle que nous a laissé le Staufen.

La notion d'empire

Le Saint-Empire romain germanique, après la mort de Frédéric de Hohenstaufen connaît une lente agonie avant sa dissolution prononcée par l'empereur d’Autriche François II de Habsbourg en 1806, à la suite des défaites face à Napoléon. Lente fut aussi l'agonie de Frédéric II de Prusse dont la fin de règne fut difficile. A leur manière les deux Frédéric l'un par la dimension de son action et de sa vision l'autre par sa signature réelle ou supposée ont témoigné de cette vision d'universalité. Quels liens unissent donc ces deux personnages d'exception et en quoi ont-ils œuvré pour le Saint-Empire ?

Il n'existe pas de définition unique de l’empire. Les empires ont revêtu des formes variées selon les temps et les lieux. Ainsi la Chine, l'Inde, la Perse, l'empire gréco-macédonien, l'Égypte l'empire arabe sous le califat, l'Éthiopie avec son Roi des Rois ont été des empires, au même titre que Rome ou le Saint-Empire romain germanique.

L'Empire perse est fondé par Cyrus le Grand. Darius son fils, développe et installe le modèle impérial des Achéménides. Les différents peuples sont regroupés en vingt satrapies et la première la Perse est le centre du monde. Cette œuvre est poursuivie par Xerxès. Dans le modèle perse, le Roi est le lien entre Dieu et les hommes, ce qui est, différent de l'Égypte ou de Rome où il est divinisé.

Alexandre le Grand probablement, influencé par le modèle perse tente de créer un empire. Mais c'est Rome qui va le réaliser en le basant dune part sur une vision politique et d'autre part sur un appel à un principe divin.
Le califat d'Orient a duré six siècles. Sous les Abbassides sa capitale est Bagdad, nom qui signifie -Dieu l'a donné-. Mais elle est également nommée Madînat al-Salâm, cité du Salut ou de la Paix par allusion au Paradis.

À partir du modèle romain qui peut être considéré comme l'aboutissement des empires égyptien, perse et gréco-macédonien qui l'ont précédé, tentons de définir la notion d'empire.

C'est une organisation dans laquelle on trouve le plus fréquemment les éléments suivants :

• L'empire rassemble plusieurs populations différentes. par opposition au royaume composé d'un peuple soumis à une souveraineté qui a pour vocation d'assurer une cohérence nationale.

• Chaque entité de l'empire est soumise à l'exercice d’une autorité qui lui est propre. Les empires sont donc plurinationaux. Les autorités locales sont reconnues mais dominées par celle de l'empereur. L'unité impériale apporte aux entités des avantages, tout en évitant le poids et la lourdeur dune centralisation excessive.

• I1 y a un lien entre le souverain et la divinité. Le mandat impérial vient du Ciel. À Rome, les empereurs sont divinisés. Ailleurs, le sacre consacre ce lien. Les empires ont existé là où sont pratiquées des religions universalistes, c'est-à-dire des religions accessibles à tous et non réservées à un peuple élu. Les autres religions sont tolérées ou intégrées. Dans certains cas le souverain détient les trois pouvoirs traditionnels.

• L'existence même de l'empire ainsi que sa taille implique un minimum de circulation des idées, des hommes et des marchandises. Cette circulation nécessite un minimum de voies de communication, qu’elles soient terrestres, fluviales ou maritime. Mais en même temps ce dispositif présente un point faible : il sert également aux ennemis et envahisseurs.

• La couronne impériale coiffe les couronnes royales ou bien l'empereur réunit sur sa tête plusieurs couronnes comme ce fut par exemple le cas en Égypte, ou pour le Saint-Empire romain germanique.

• Le pluralisme implique une certaine tolérance. Il y a unité au niveau de l’empire, mais les diversités sont tolérées. L a pluralité des peuples implique une tolérance religieuse voir une pluralité des religions, coiffée par la religion de l’empereur.

• L'empire a vocation à l’universalité, donc à s'étendre territorialement. L'empire regroupe par conséquent sous une même autorité et à l'intérieur d une organisation divers peuples, politiquement et religieusement relativement, autonomes s'appuyant sur un principe fédérateur supra-humain.

Caractéristiques aussi sont les titres attribués aux empereurs :

Roi universel pour les Indes. Roi des quatre directions pour les Incas, Roi de la totalité pour les Assyriens Roi des rois pour l’Éthiopie et la Perse, Empereur unique pour Rome.

Ceci correspond bien à l'ambition impériale : vouloir s'étendre à la totalité bref être universel.

Cette totalité concerne horizontal (la terre) mais également le vertical (le Ciel).
Un des symboles impériaux est l'aigle bicéphale surmonté d'une couronne.

C’est le symbole du pouvoir par excellence et des états spirituels supérieurs. II représente la quête de lumière. Il vole haut et il est un messager de la volonté divine. La couronne indique clairement que les deux pouvoirs temporel et spirituel, sont -regroupés sur une même tête.

Par exemple aigle impérial russe est monocouronné. Dans le cas où les deux têtes portent chacune leur couronne il y a séparation des pouvoirs royaux et sacerdotaux.

En Iran achemeniénide l'étendard est un aigle d’or, l'aigle symbolisant la puissance et la victoire dans la religion mazdéenne. Au-dessus de la manifestation plurielle, l'aigle bicéphale monocouronné témoigne du pouvoir suprême et de l'unité impériale sur un plan supérieur.

Même si i empire a une vocation universaliste et stable, il est par construction instable car il est ordonné dans un univers turbulent.

Aussi les empires sont-ils mortels soit du tait des armées extérieures soit par décomposition. L’Empire dont la construction est à la fois militaire et politique débouche dans son achèvement sur la Paix universelle, condition essentielle pour que tout homme puisse être pleinement libre.

Aussi essayerons-nous de comprendre comment le Saint-Empire romain terrestre va dans son effondrement libérer un Saint-Empire spirituel et comment à cinq siècles de distance les deux Frédéric ont contribué chacun à leur façon à l'éclosion de concepts spirituels.

Le Saint-Empire romain germanique e été progressivement construit sur les décombres de l'Empire romain. Le partage de ce dernier en 394 entre Empire d Occident et Empire byzantin, ayant respectivement Rome et Constantinople pour capitale mettait déjà à mal la notion même d'empire : l'unité était brisée alors que l'empire a pour vocation de rassembler. L'Empire romain d'Occident s'achève en 476 avec la déposition du dernier empereur. Romulus Augustule, par les Goths. Constantinople tombe en 1453 sous les coups des troupes de Mehmed II.

Le Saint-Empire romain germanique (962-1806)

Sur les ruines mérovingiennes. Charlemagne tente de constitue- un empire dont le centre est Aix-la-Chapelle. Il est sacré à Rome, à la Noël de l'an 800 par le pape Léon III. Signalons qu'à cette occasion il reçoit des mains de représentants du calife Haroun al-Rachid les clés du Saint-Sépulcre, preuve que des relations existent entre le monde chrétien et le monde musulman.

Il fait couronner roi en 813, soit un an avant sa mort, son seul fils survivant, Louis le Pieux. Ce dernier se fait ensuite couronner empereur par le pape, lui attribuant ainsi un rôle capital dans le processus d'accession au Trône impérial, rôle que les papes suivants ne se priveront pas d'exercer.

Louis le Pieux partage entre ses trois fils son empire. Son petit-fils. Charles III le Gros (839-888), recueille par succession suite aux décès successifs des autres monarques les différentes parties de l'Empire carolingien. S'il restaure l’unité de l'empire il se montre incapable de refouler les Normands. Attaqué à l'est par son neveu Arnoul qui le dépossède de la Germanie, il abdique en 887 et décède l'année suivante. L'empire est alors partagé en cinq royaumes. Arnoul en 896, prend le titre impérial qui sera encore porté par des roitelets italiens. Le dernier roi d'Italie, Bérenger 1er de Frioul, est assassiné en 924. C'en est fini de 'Empire carolingien.

Roi de Germanie en 936 roi d'Italie par mariage en 951 Othon 1er dit le Grand (912-973) est couronné le 2 février 962 empereur allemand par le pape Jean XII à Rome. Il est considéré par les historiens comme le premier empereur du Saint-Empire romain germanique, même si à l'époque cette entité ne porte pas encore ce titre. Othon 1er se considère comme l'héritier de l'antique tradition romaine et de Charlemagne. Sa vision du monde résulte de l'association de l'universalité impériale et des valeurs chrétiennes.

Progressivement. en réunissant diverses principautés sur un territoires qui s’étend de Rome à la Pologne et la Hongrie, puis s'élargissant a l’Italie du Sud et la Sicile , cet empire devient le Saint-Empire romain germanique qui couvre Allemagne, l'Italie du Nord et l'Italie du Sud. La titulature évolue en parallèle dans les usages.

Cet État prend le titre d’Empire romain en 1034, de Saint-Empire en 1157 et enfin de Saint-Empire romain germanique en 1254. Le royaume des Francs restera toujours en dehors de cette construction. En même temps le centre de gravité bascule d Aix-la-Chapelle vers Rome.

Le Saint-Empire est fondé sur volonté de continuer l'Empire romain en s'appuyant sur deux couronnes : celle de l'empereur et celle du pape. C'est donc plus un concept qu'un espace géographique de souveraineté bien défini. L’empereur est couronné dans la chapelle octogonale d'Aix-la-Chapelle. Il est ensuite sacré à Rome par le pape qui le fait "Oint du Seigneur" sacralisant sa personne et l'investissant de toute la puissance impériale.

Dieu est représenté sur terre par l'empereur et le pape. Ces deux autorités vont s'affronter ce qui causera leur perte. En effet cette partition des pouvoirs, même si elle a vocation à l'universalité, porte en elle le germe de son autodestruction. L’empereur estime qu'il tient son autorité de Dieu. Son pouvoir impérial l'autorise à pratiquer le césaro-papisme, c'est-à-dire l'intervention de l'empereur dans les affaires de l'Église.

La dynastie othonienne

Le règne d'Othon 1er inaugure une longue suite de relations tumultueuses entre l'Empire et la papauté. Le lit de la querelle des Guelfes et des Gibelins est fait : l'empereur voulant se mêler de l'élection du pape et réciproquement, le pape intervenant dans les affaires impériales en particulier lors de l'élection d’un nouvel empereur par la Diète (encore appelée assemblée d'Empire). Si à certains moments l’alliance entre le pape et l'empereur est bien réelle, à d'autres, c’est l'affrontement parfois concrétisé car des excommunications qui font office d'armes politiques et non de sanctions religieuses. À terme, ces confits conduiront les deux partis à leur perte.

Son fils, Othon II (955-983) couronné en 967 du vivant de son père - on ne saurait en ces temps être trop prudent - prend le titre d'Empereur romain. Mais ce n'est pas l'Empire romain liquidé il y a cinq siècles qui renaît. D'empire, cette confédération n'a à ce moment, que le nom.

Son successeur Othon III (980-1002) sacré empereur à Rome en 996 manifeste nettement son ambition de retourner au modèle romain : c'est la "rénovation de l'Empire romain". Il veut refaire de Rome le "Centre de l'Empire". La couronne impériale que l'on peut admirer à Vienne lui fut souvent attribuée. Actuellement on pense plutôt que c'est celle de Conrad III (1024-1039). Par sa forme octogonale, elle préfigure l'architecture du célèbre château de Castel del Monte. La plaque du front représente le roi Salomon.

mardi, septembre 26, 2006

Agapè - Avec le concours de Dante et de Jean

Agapè « amour qui tend à l’offrande de soi, qui fait abstraction de l’amour de soi au service de celui qu’on aime »

Agapan : accueillir avec amitié, aimer, chérir, est le terme originel que la bible des Septantes, formule agapè qui fleurit dans le Nouveau Testament : Dieu est amour, « o Theos agapè estin. » La vulgate traduira par caritas, l’amour affection, ce qui rend cher, caritas, charité.

Connu de la littérature païenne, présent dans l’œuvre de Philon d’Alexandrie (T 20 env.-45 env.), le concept d’agapè reçoit une promotion soudaine quand certains auteurs du Nouveau Testament l’adoptent et le rendent synonyme d’amour chrétien. Dans ce contexte, agapè signifie soit l’amour condescendant et gratifiant de Dieu pour les hommes, soit l’amour inconditionné, le dévouement absolu que les chrétiens doivent avoir pour autrui, quel qu’il soit (fils d’un même Père, tous les hommes sont frères : le prochain n’est pas seulement le proche, c’est aussi bien le passant, l’inconnu, l’étranger, l’esclave, l’ennemi, sans aucune « acception des personnes »). Les textes majeurs qui célèbrent l’agapè chrétienne sont l’hymne à l’amour de la première lettre de Paul aux Corinthiens (XIII) et la première Épître dite de Jean.

Le mot français s’emploie d’abord au sens chrétien du grec et du latin. Son emploi, surtout au pluriel (les agapes), est attesté au milieu du 19ème .

Des repas pris en commun, distincts de la célébration de l’Eucharistie, comptent parmi les manifestations de cet amour: ce sont les agapes.

L’agapè se trouve donc sur la croix, lieu du message d’amour et du sacrifice. C’est le symbole de l’amour suprême que l’on peut qualifier de divin. Cet amour divin est stylisé par la Rose qui nous indique sa nature hermétique ou herméneutique, quêteuse de sens.

L’Empyrée, le 10ème Ciel est la Rose céleste, la rose blanche éternelle, vaste amphithéâtre divisé en deux hémicycles :
D’un côté, où tous les sièges sont occupés sont assis ceux qui ont cru dans le Christ à venir : les juifs de l’Ancien Testament.

De l’autre ceux, moins nombreux qui ont cru dans le Christ venu, les élus du Nouveau Testament.
Au milieu, les bienheureux : les femmes appartenant à la loi ancienne, les hommes appartenant à la voie nouvelle.
Au dessous les enfants qui n’ont pas gagné le Paradis par leur propre mérite.

Les anges volent éternellement, comme un essaim d’abeilles descendant dans la fleur, d’où ils remontent ensuite vers Dieu.
« Ce joyeux et tranquille royaume, rempli d’un peuple ancien et nouveau, avait ses regards et son amour dirigés vers le même but »

L’agapè est un amour spontané et gratuit, qui n’a pas besoin de justification. Tout être dans ses faiblesses est digne de l’amour des hommes.

Et cet amour crée la valeur de celui qui le reçoit.

L’amour du prochain ne se différencie pas de la justice : on peut être juste sans aimer mais on ne peut universellement aimer sans être juste. Amour universel, libéré de l’injustice, du désir, de l’amitié, sans limite.

Se libérer de la tyrannie du moi. Prendre distance avec le moi dominateur : s’aimer soi-même comme un étranger.

Epître aux Corinthiens, hymne à la charité :

« Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai la charité je ne suis plus qu’airain qui sonne ou cymbale qui retentit. Quand j’aurais le don de prophète et que je connaîtrais tous les mystères et les sciences, quand j’aurais la plénitude de la foi, une foi à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. Quand je distribuerais mes biens en aumône, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien.

La charité est longanime (patiente à supporter les douleurs morales), serviable, ne se réjouit pas de l’injustice, elle supporte tout, elle met sa joie dans la vérité. Demeurent espérance, foi, charité, mais la plus grande d’entre elles est la charité ».

« La parole était en Dieu » Des mythes aux Cosmogonies puis la naissance de la philosophie avec les présocratiques.
La certitude est renvoyée au Mystère de la création par la parole, à l’Etre invisible. Genèse. Parole fondatrice : transcendance. La parole de la créature interprète.

« Et Dieu était la parole »

Mythes, superstitions, dieux tutélaires. Réduction, Moïse

« Par elle tout a commencé à être » L’intellect divin origine de l’intellect humain, l’intellect infini créateur des intellects finis mais non achevés. Quête de la dernière main.

« En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes »
« La lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas enveloppée »
« La parole a vaincu la mort » INRI.


Dante :

XXIV ème Chant 8ème Ciel : ciel des Etoiles

St. Pierre et la Foi : Confrérie élue à la grande Cène de l’agneau bénit qui vous nourrit si bien que vos désirs sont satisfaits....répandez sur les hommes votre rosée, vous qui buvez à la source de tout ce qu’il pense...
La foi est la substance des choses espérées et l’argument des choses invisibles....Les choses profondes qui se dévoilent ici à moi sont si cachées aux yeux de la terre que leur existence n’est connue que par la croyance sur laquelle est fondée la sublime espérance...syllogisme, déductions, arguments... (Gnose).

Tu as déjà apprécié l’alliage de cette monnaie....Ce joyau précieux vient de la pluie abondante de l’esprit qui est répandue sur les vieux et les nouveaux parchemins.

« Je crois en un seul dieu éternel, qui sans être mû par lui-même met en mouvement le Ciel par amour et par désir. » (St.Thomas, Aristote)

XXV ème. : St. Jacques et l’Espérance.

D’Egypte à Jérusalem. L’Egypte représente la terre de la servitude, de la corruption, Jérusalem le Ciel, la béatitude de la vie éternelle.

L’espérance est une attente certaine de la gloire future que procurent la grâce divine et les mérites.
Le pélican : voilà celui qui coucha sur le sein de notre Pélican (St Jean). L’allégorie du pélican est très répandue au moyen âge parce que l’on croyait que le pélican nourrissait ses petits de sa propre chair et arrivait même à le ressusciter de son sang.

Fixer le soleil pour être mieux voyant. Perte de la vue : pourquoi s’éblouir à essayer de voir ce qui n’est pas ici ? Dante perd la vue en essayant de voir le corps de St. Jean.


XXVI St Jean et la charité.

La parole remplace la vue. La vertu de la main d’Ananie, qui rendit la vue à St.Paul devenu aveugle sur le chemin de Damas.

Il faut te purifier à un crible plus étroit, dire ce qui dirigea ton arc à la cible : « C’est par les arguments philosophiques et par l’autorité qui descend d’ici qu’un tel amour doit en moi marquer son empreinte, car le Bien enflamme ainsi l’amour. L’aigle du Christ, le sacrifice, la mort pour que moi je vive...La vraie connaissance m’a arraché à la mer du faux amour et m’a fait aborder le rivage du vrai »

Monarchie

« L’ineffable Providence de Dieu proposa à l’homme deux fins : la béatitude de cette vie qui consiste dans l’exercice de la vertu propre et qui est représentée par le Paradis terrestre ; et la béatitude de la vie éternelle qui consiste à jouir de la vue de Dieu, ce à quoi la vertu humaine ne peut pas s’élever si elle n’est aidée par la lumière divine, et qui est représentée par le paradis céleste. A ces deux béatitudes, il faut arriver par des moyens différents. A la première nous arrivons par les enseignements philosophiques, pourvu que nous les suivions en agissant selon les vertus morales et intellectuelles. A la seconde par les enseignements spirituels qui dépassent la raison humaine, pourvu que nous les suivions en agissant selon les vertus théologales. C’est pourquoi l’homme a eu besoin d’une double direction suivant sa double fin : c.a.d. du Souverain pontife qui selon les vérités révélées conduirait le genre humain à la vie éternelle, et l’Empereur qui selon les enseignements philosophiques, le dirigerait vers la félicité temporelle ».

Virgile, dans la Comédie conduira Dante et l’humanité jusqu’au paradis terrestre, au bonheur de cette vie. Il annonce qu’il ne saurait aller plus loin, la raison humaine, l’autorité impériale a accompli son devoir. Plus haut, vers la béatitude de la vie éternelle, un autre guide sera nécessaire : Béatrice, la vérité révélée, l’autorité spirituelle du successeur de Pierre.

Chant premier de l’Enfer, prologue. Dans la nuit du jeudi au vendredi saint, 7-8 avril 1300. 35 ans. Corde en guise de ceinture. Pleine lune. Egaré dans la forêt obscure, forêt de symboles. Colline éclairée par le soleil levant. Bêtes féroces l’empêchent, veulent le rejeter dans l’abîme. Appel à Virgile qui lui indique l’autre chemin : l’Enfer. Lévrier mystérieux. Les trois royaumes des damnés, du purgatoire et du ciel. Virgile guide pour les deux premiers. Dante est dans l’état où se trouve l’humanité abandonnée par les guides de la providence : le pape et l’empereur.
Forêt : vice, péché, misère, servitude.

Colline de béatitude : vertu, état de grâce, liberté.

Les trois animaux : le serpent la luxure, la louve l’avarice, le lion l’orgueil.

dimanche, septembre 24, 2006

Le mystère des momies celtes du Xinjiang

Vision occidentale du phénomène, et réaction politique chinoise

Courrier international - n° 828 - 14 sept. 2006

Sciences

ARCHÉOLOGIE - Le mystère des momies celtes du Xinjiang

La découverte de cadavres de type européen à des milliers de kilomètres de distance permet d’entrevoir l’existence d’un lien jusque-là inconnu entre l’Orient et l’Occident à l’âge du bronze.

L’homme a des cheveux d’un brun roux parsemés de gris, des pommettes saillantes, un long nez, des lèvres pleines et une barbe rousse. Quand il vivait, il y a 3 000 ans, il mesurait près de 2 mètres. Il a été enterré dans une tunique rouge croisée et des chausses à carreaux. On dirait un Européen de l’âge du bronze. En fait, il a tout d’un Celte – même son ADN le dit.

Mais il ne s’agit pas là d’un habitant primitif du centre de l’Ecosse. C’est le cadavre momifié de l’homme de Cherchen, découvert dans les étendues désolées du désert du Taklamakan, dans le Xinjiang, région inaccessible de l’ouest de la Chine. Il repose désormais dans un nouveau musée de la capitale provinciale d’Urumqi. Dans la langue que parlent les Ouïgours du Xinjiang, Taklamakan signifie : “on entre pour ne pas ressortir”.

Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est que l’homme de Cherchen a été retrouvé – ainsi que les momies de trois femmes et d’un bébé – sur un site funéraire situé à des milliers de kilomètres à l’est des principales implantations celtiques, en France et dans les îles Britanniques. Les tests d’ADN confirment que, tout comme des centaines d’autres momies du bassin du Tarim, dans le Xinjiang, il est originaire d’Europe. Personne ne sait comment il est arrivé là, ni pourquoi, ni combien de temps les siens et lui y ont vécu. Mais, comme le laisse entendre le nom du désert, il n’en est jamais ressorti.

L’une des femmes partageant sa tombe a des cheveux châtain clair qui donnent l’impression d’avoir été brossés et tressés hier à peine, pour ses funérailles. Son visage est orné de symboles peints, et sa magnifique robe funéraire rouge n’a rien perdu de son éclat au fil des trois millénaires durant lesquels cette grande femme aux traits fins a reposé sous le sable de la route de la soie.

Les corps sont nettement mieux conservés que les momies égyptiennes, et le spectacle des nourrissons a quelque chose de poignant. Le bébé a été enveloppé dans une somptueuse étoffe brune attachée par des cordelettes rouges et bleues, et on a placé une pierre bleue sur chaque œil. A ses côtés se trouvait un biberon doté d’une tétine fabriquée avec le pis d’une brebis. A partir de la momie, le musée a reconstitué l’aspect de l’homme de Cherchen et son mode de vie. Les ressemblances avec les Celtes de l’âge de bronze traditionnel sont frappantes. Les analyses ont par ailleurs montré que le tissage des étoffes était comparable à celui des vêtements portés par les mineurs de sel vivant en Autriche en 1300 av. J.-C.

un peuple pacifique et égalitaire

A leur apogée, vers 300 av. J.-C., l’influence des Celtes s’étendait de l’Irlande au sud de l’Espagne, à l’ouest, ainsi qu’à la vallée du Pô, à la Pologne, à l’Ukraine et à la plaine centrale de Turquie, à l’est. Mais ces momies semblent suggérer que les Celtes avaient pénétré profondément en Asie centrale, atteignant les marches du Tibet. Les Celtes se sont installés peu à peu en Bretagne [la Grande-Bretagne actuelle] entre 500 et 100 av. J.-C. On ne peut pas à proprement parler d’invasion organisée : ils sont arrivés à des époques différentes, et sont considérés comme un groupe de peuples vaguement liés par une même langue, une même religion et une même culture. Ceux de Cherchen étaient apparemment pacifiques : les sépultures contenaient fort peu d’armes, et les indices qui attestent l’existence de castes sont rares. Avec ses 4 000 ans, la Beauté de Loulan est encore plus ancienne que les trouvailles de Cherchen. Elle a de longs cheveux blonds et fait partie d’une série de momies découvertes près de la ville de Loulan. L’une d’entre elles était la momie d’un enfant de 8 ans drapé dans une étoffe de laine à motifs, fermée par des boutons en os. Les traits de la Beauté de Loulan sont nordiques. Elle était âgée de 45 ans à sa mort, et a été enterrée avec un panier de vivres pour sa vie dans l’au-delà, panier qui contenait du blé, des peignes et une plume.

Au cours des vingt-cinq dernières années, le désert du Taklamakan a rendu des centaines de cadavres desséchés. Les découvertes effectuées dans le bassin du Tarim comptent parmi les plus importantes du quart de siècle écoulé. “A partir des alentours de 1800 av. J.-C., les plus anciennes momies du bassin du Tarim sont exclusivement caucasoïdes”, déclare le Pr Victor Mair, de l’université de Pennsylvanie, fasciné par ces momies depuis qu’il les a aperçues, en 1988, presque oubliées, dans l’arrière-salle de l’ancien musée. Le sujet l’obsède, et il n’a reculé devant rien, même pas les pires imbroglios politiques, pour en savoir toujours plus sur ces personnes remarquables.

Il explique que des immigrants d’Asie de l’Est sont arrivés dans les régions orientales du bassin du Tarim il y a à peu près 3 000 ans. Les Ouïgours, eux, sont arrivés après l’effondrement du royaume ouïgour d’Orkhon, situé en Mongolie actuelle, vers l’an 842. Cette partie de l’antique route de la soie est l’une des contrées les plus désolées du monde. C’est l’endroit le plus éloigné de la mer de toute la planète, et la Chine l’a choisi pour y procéder à ses essais nucléaires. Des camps de travail y sont éparpillés un peu partout – qui oserait s’en évader ? Mais cet éloignement est une bénédiction pour les archéologues. Du fait de l’extrême sécheresse des sols alcalins, les corps ont échappé à la décomposition. Ils ont beau être là depuis des milliers d’années, la moindre fibre parfaitement conservée des vêtements a fait l’objet d’une politisation incessante.

En Chine, on affirme traditionnellement que, deux siècles avant la naissance du Christ, l’empereur Wu Di envoya un émissaire vers l’ouest afin d’établir une alliance contre les Huns, alors installés en Mongolie. La route qu’emprunta Zhang Qian, l’ambassadeur, à travers l’Asie devint plus tard la route de la soie. Des siècles plus tard, Marco Polo fit le chemin inverse et l’ouverture de la Chine commença. La seule idée que des Blancs aient pu s’installer dans une région de Chine des milliers d’années avant les premiers contacts de Wu Di avec l’Occident et les voyages de Marco Polo a des conséquences politiques considérables. Quant au fait que ces Européens auraient vécu dans la province rétive du Xinjiang des centaines d’années avant les Asiatiques de l’Est, c’est une hypothèse explosive.

Les momies regroupées sur des critères politiques

Ji Xianlin, historien chinois, dans sa préface au livre de l’archéologue Wang Binhua, Les Sépultures antiques du Xinjiang, traduit par Mair, affirme que la Chine “soutient et admire” les recherches effectuées par des spécialistes étrangers sur les momies. “Toutefois, en Chine même, un petit groupe de séparatistes ethniques ont profité de cette occasion pour fomenter des troubles et se comportent comme des bouffons. Certains se présentent comme les descendants de ces antiques ‘Blancs’ et n’ont d’autre but que de diviser la patrie. Mais ces actes pervers sont voués à l’échec.”

Il n’est donc pas surprenant que le gouvernement n’ait que lentement fait part de ces découvertes historiques d’une grande importance, craignant d’attiser les courants séparatistes dans le Xinjiang. La Beauté de Loulan est ainsi revendiquée par les Ouïgours, qui ont fait d’elle leur figure emblématique, que célèbrent des chants et des portraits. Même si les tests génétiques démontrent désormais qu’en réalité elle était européenne.

En tout, on recense 400 momies à divers stades de dessèchement et de décomposition. A cela s’ajoutent des milliers de crânes. Les momies ont de quoi occuper les scientifiques pendant longtemps. Seules quelques-unes des mieux conservées sont présentées dans le nouveau et impressionnant musée du Xinjiang. Les travaux sur ce dernier avaient commencé en 1999, mais avaient été interrompus en 2002 à l’issue d’un scandale de corruption et de l’emprisonnement d’un ancien directeur, impliqué dans un trafic d’antiquités. L’institution a enfin ouvert ses portes pour le cinquantième anniversaire de l’annexion de la région par la Chine, et les momies sont présentées dans des vitrines de verre. On trouve dans la même salle des momies han [l’ethnie dominante en Chine], beaucoup plus récentes. Elles sont tout aussi intéressantes, mais ne font que susciter la confusion, puisque les momies se retrouvent ainsi regroupées. La decision est logique sur le plan politique.

Clifford Coonan The Independent


Passionné
Victor Mair est professeur de littérature chinoise à l’université de Pennsylvanie, mais il s’est découvert une passion pour les momies du Taklamakan. Il a écrit avec l’archéologue irlandais James Mallory le seul livre consacré à ce sujet, The Tarim Mummies : Ancient China and the Mystery of the Earliest Peoples from the West, éd. Thames & Hudson, non traduit en français. Leur hypothèse d’un peuplement celte au Xinjiang est contestée. Mais l’histoire de l’ensemble de la région et de ceux qui l’habitaient – les Tokhariens – reste mal connue.


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Les Tokhariens

Les Tokhariens étaient un peuple indo-européen d'Asie centrale, ayant habité le bassin du Tarim, actuelle province du Xinjiang (Turkestan oriental), qui a disparu il y a environ un millénaire. Leur civilisation a été « découverte » par les Occidentaux il y a près d'un siècle, mais elle reste relativement méconnue. A partir des années 1980, la découverte de momies d'hommes de type européen dans l'ouest de la Chine, vieilles de 2 000 à 4 000 ans et probablement tokhariennes, a jeté un très intéressant éclairage sur leur lointain passé. Malheureusement, en raison de quelques similitudes avec la culture des Celtes (certaines momies portaient des tartans), se répandit la fausse idée que les Tokhariens étaient issus de peuplades celtiques installées en Chine.

Les Chinois ont conservé sur les Tokhariens de précieux témoignages dans leurs anciens écrits. On n'y trouve cependant aucune indication sur les langues tokhariennes. Il fallut attendre les expéditions archéologiques du début du XXe siècle pour apprendre qu'elles étaient indo-européennes et qu'elles présentaient des affinités particulières avec les langues européennes : le tokharien partage beaucoup de vocabulaire avec le germanique et le grec. Du point de vue morphologique, elles se rapprocheraient de l'italo-celtique. Elles ont par ailleurs un caractère archaïque.

Les expéditions en question, menées par l'Anglais Aurel Stein, les Allemands Albert Grünwedel et Albert von Le Coq, le Français Paul Pelliot, ainsi que par des Russes et des Japonais, ont également permis la découverte de ruines et de grottes qui ont livré un grand nombre d'informations sur les Tokhariens de l'époque bouddhique (Ier millénaire ap. J.-C.).

Le territoire des Tokhariens

Les Tokhariens vivaient dans l'actuelle province chinoise du Xinjiang, plus précisément dans la partie méridionale de cette province, le bassin du Tarim. C'est un territoire bordé au nord par les Monts Célestes (Tian Shan en chinois), au sud par les massifs du Kunlun et de l'Altyn Tagh, à l'ouest par le Pamir. Il est occupé par le désert du Taklamakan et il communique à l'est avec le désert de Gobi. Dans sa partie orientale, se trouve le Lop Nor, un marais salé dont la superficie s'est aujourd'hui beaucoup réduite.

La population se concentrait surtout dans les oasis du nord du bassin du Tarim. On y trouve aujourd'hui, d'est en ouest, les villes de Hami, de Tourfan, de Karachahr, de Koutcha, d'Aksu et de Kachgar. Toutes correspondent à d'anciens royaumes. Il n'y a presque jamais eu d'État unifié dans cette région, à cause de sa grande étendue et de la difficulté de voyager d'une oasis à une autre. Des royaumes étaient présents au sud du bassin, mais au cours du premier millénaire, ils ont périclité, victimes de l'avancée du désert.

La route de la soie passait par le bassin du Tarim. Il est certain que les Tokhariens ont tiré des bénéfices du commerce qui se déroulait, mais ils jouissaient aussi de la générosité de leur terre. Au sujet du royaume de Koutcha, le célèbre moine chinois Xuanzang, parti en Inde durant l'été 629 pour étudier le bouddhisme dans le pays d'origine de cette religion, a écrit : « Le sol est favorable au millet rouge et au froment. Il produit, en outre, du riz de l'espèce appelée gengtao, des raisins, des grenades et une grande quantité de poires, de prunes, de pêches et d'amandes. On y trouve des mines d'or, de cuivre, de fer, de plomb et d'étain ». Au sud de Karachahr, il y avait des mines d'argent dont on se servait pour la fabrication des monnaies.

Peu après l'an 400, un autre voyageur chinois, Zhimeng, a raconté que « dans la ville de Koutcha, il y a des hautes tours et des pavillons à plusieurs étages. Ils sont décorés d'or et d'argent ». Les Chinois étaient éblouis par la magnificence du palais royal, dont les salles étaient « grandes et imposantes et enrichies de langgan, d'or et de jade ». Le langgan serait une variété de jade rouge, que les populations du bassin du Tarim livraient aux Chinois dès l'Antiquité. De toutes ces resplendissantes cités, il ne reste absolument plus rien. Bien plus que le déclin de la route de la soie, c'est l'épuisement des ressources naturelles qui a entraîné le déclin du bassin du Tarim.

Les langues tokhariennes

Sur les manuscrits ramenés du bassin du Tarim par les expéditions européennes et japonaises, il y avait une langue inconnue qui fut d'abord appelée la « langue I ». Le turcologue allemand F. W. K. Müller lui donna en 1907 le nom de tokharien. En 1908, les indianistes Émile Sieg et Wilhelm Siegling prouvèrent son caractère indo-européen. Un peu plus tard, l'orientaliste français Sylvain Lévi publia les premières traductions de textes. Le déchiffrement n'avait guère posé de problème, car le tokharien était noté avec une écriture d'origine indienne, la brahmi. De plus, on disposait de documents bilingues tokharien-sanskrit.

Les documents les plus anciens datent du VIe ou peut-être du Ve siècle, mais pour l'essentiel, ils remontent aux VIIe et VIIIe siècle. S'ils sont rédigés sur du papier, invention venue de Chine au début de notre ère, leur présentation est de type indien.

En fait, il n'y a pas une seule langue, mais deux, qui furent appelés le tokharien A et le tokharien B. Dans la région de Koutcha, seuls des manuscrits en tokharien B ont été trouvés, c'est pourquoi cette langue est aussi appelée le koutchéen. L'essentiel des manuscrits en tokharien A provient de la région de Karachahr, plus précisément des ruines d'un grand complexe monastique qui se trouve à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de cette ville, sur le site de Chortchouq. Dans cette région, se trouvait autrefois un royaume appelé Agni dans les textes sanskrits. Le terme d'agnéen peut donc être utilisé pour désigner le tokharien A. À Chortchouq, on a aussi trouvé des manuscrits en koutchéen. Enfin, des textes en koutchéen et en agnéen proviennent de différents sites de la région de Tourfan.

Le koutchéen et l'agnéen sont des langues étroitement apparentées, mais elles sont trop différentes pour être mutuellement intelligibles par leurs locuteurs. Il y a autant de différences entre elles qu'entre l'italien et le roumain. Il est instructif de mettre en parallèle deux phrases en agnéen et en koutchéen qui sont de même signification :
Agnéen : wiki-wepiñcinäs shpät konsan ayäntwan mässunt tämnäshtr-än
Koutchéen : ikañcen-wacen shuk kaunne mrestiwe kektsenne tänmastär-ne
Elles sont extraites d'un texte qui semble décrire le développement du fœtus et elles signifient : « La vingt-deuxième semaine apparaît sa moelle ».

Une des caractéristiques majeures du tokharien est l'inexistence des occlusives sonores et aspirées : les trois séries d'occlusives g, d, b ; gh, dh, bh et kh, th, ph de l'indo-européen commun (langue mère de toutes les langues indo-européennes) ont été réduites à la seule série k, t, p. Les Tokhariens ne pouvaient donc pas prononcer correctement le nom de Bouddha : ils disaient Poutta. Ils ont créé une voyelle, transcrite par la lettre ä, qui était assez proche du i. Les mots tokhariens ont été raccourcis : « cheval » se dit *ekwos en indo-européen commun, yakwe en koutchéen et yuk en agnéen. Le phénomène est plus prononcé en agnéen qu'en koutchéen, parce que la seconde de ces langues a évolué plus lentement que la première.

Les Tokhariens s'appelaient-ils vraiment ainsi ?

En d'autres termes, le nom donné à ce peuple était-il justifié ? Ce problème n'est pas encore résolu avec certitude.

Au IIe siècle av. J.-C., un peuple appelé / Tókharoi (attesté chez Strabon, XI, 8, 2, puis chez Ptolémée, VI, 11, 6) par les Grecs s'est installé en Bactriane, à l'ouest du Pamir. Il a donné son nom à cette région : la Bactriane du premier millénaire de notre ère est souvent appelée « Tokharistan » (ou parfois « Tokharestan » dans les textes français). Or un texte en langue turque qualifie la langue A de twqry. La lecture en est difficile, mais F. W. K. Müller l'a rapproché du nom des Tokhares de Bactriane. Il pensait donc que ces Tokhares parlaient la langue A, d'où le nom qu'elle a reçu.

Le terme de tokharien ne devrait pas être appliqué au koutchéen. On le fait cependant, puisqu'il est commode d'appeler les locuteurs des langues A et B par un terme unique. Grâce aux textes koutchéens, on sait que les anciens habitants de la région de Koutcha s'appelaient eux-même les Koutchéens (kusiññe dans leur langue, au singulier). Le nom actuel de cette ville est donc l'un des rares vestiges des langues tokhariennes. Dans cette région, se trouvait le plus important royaume du bassin du Tarim, de loin le plus peuplé, que l'on peut appeler le Koutchi. Le tokharologue Douglas Q. Adams a estimé qu'au VIIe siècle, avec les États vassaux, il était d'une superficie égale au Népal et qu'il comprenait dans les 450 000 habitants, soit autant que l'Angleterre à la même époque. Dans les textes chinois, sa capitale était appelée Yiluolu. La circonférence de cette ville était d'un peu moins de 10 kilomètres.

Les locuteurs de la langue A étaient-ils vraiment des Tokhares ? Était-ce le même peuple qui vivait dans la région de Karachahr et en Bactriane ?

Certains arguments, qui n'étaient pas connus quand le tokharien était en cours de déchiffrement, sont venus appuyer cette thèse. On a notamment découvert un texte chinois provenant de Dunhuang, à l'extrémité orientale du bassin du Tarim, où il est écrit que le royaume qui se trouve entre Koutcha et Tourfan, c'est-à-dire l'Agni, était yuezhi.

Les Yuezhi étaient un peuple très puissant qui vivait autrefois dans l'ouest du Gansu, précisément dans la région de Dunhuang. C'étaient des nomades et des guerriers qui combattaient à cheval, avec des arcs. À une époque inconnue, ils ont fondé un empire qui contrôlait notamment le bassin du Tarim. Au IIe siècle av. J.-C., ils ont été vaincus par des nomades originaires de la Mongolie, les Xiongnu. D'après les historiens chinois, une grande partie d'entre eux a quitté le Gansu pour s'installer en Bactriane.

Il se peut que quelques Yuezhi soient restés dans la région de Karachahr, où ils auraient fondé le royaume d'Agni. On expliquerait ainsi que la même langue ait été parlée à Karachahr et en Bactriane. Si les Yuezhi des sources chinoises sont identiques aux Tokharoi des sources grecques, il en résulte que les Agnéens étaient bien des Tokhares. L'équation Yuezhi = Tokharoi est admise par de nombreux spécialistes, bien qu'elle soit difficile à démontrer.

Au moins peut-on admettre que les Yuezhi étaient bien les ancêtres des Agnéens. En 1966, le sinologue Edwin G. Pulleyblank a fourni plusieurs excellents arguments pour prouver que les Yuezhi parlaient une langue tokharienne. Cela donne une dimension tout à fait différente aux Tokhariens : ils n'étaient pas que des sédentaires vivant dans les oasis du bassin du Tarim. Ils ont également été des guerriers capables de conquérir de vastes territoires. Il est certain que l'empire des Yuezhi jouissait d'un prestige immense, un peu comme celui des Mongols, mais puisque les Chinois ont commencé à parler de lui quand il s'était déjà effondré, on sait très peu de choses sur lui.

Un coup d'œil sur l'histoire

Les origines

Comment se fait-il que des langues apparentées à celles de l'Europe aient été parlées à l'ouest de l'actuelle Chine ? Cela suppose qu'une migration se soit produite, mais quand et à partir d'où ? On pourrait également s'interroger sur ce qui a provoqué cette migration et quelle route elle a empruntée.

Certaines de ces questions resteront sûrement à jamais sans réponse. On peut toutefois remarquer que d'après la plupart des spécialistes, le foyer des langues indo-européennes se trouvait au nord de la mer Noire. Là, vers le IVe millénaire av. J.-C., vivait un type d'hommes au squelette qualifié de paléo-europoïde et qui a aujourd'hui disparu de cette région. Ces individus étaient enterrés sous des tumulus que les Russes appellent des kourganes.

Aux environs du Lop Nor, sur un territoire qui allait appartenir 1500 ans plus tard au royaume tokharien du Kroraina, on a trouvé un cimetière où des individus de type paléo-europoïde étaient enterrés. Ce cimetière, dit de Qäwrighul, est daté de la première moitié du IIe millénaire av. J.-C. Certaines tombes étaient entourées par des cercles de pieux ou comportaient des statuettes féminines, deux caractéristiques existant chez les peuples indo-européens anciens. Il est tentant de considérer ces individus comme des Tokhariens.

Au sujet du territoire occupé par les Tokhariens à l'époque de Qäwrighul, des observations essentielles ont été faites. On sait que le sanskrit a été apporté en Inde par un peuple appelé les Indo-Aryens, qui vivait vers l'an -2000 en Bactriane (cf. Théorie de l'invasion aryenne). Cette région est située à l'ouest du Bassin du Tarim et en est séparée par le Pamir. Il s'avère que les Tokhariens et les Indo-Aryens ont emprunté un même vocabulaire à un même peuple non indo-européen, comme les termes *ani- « hanche » et *ishti- « argile, brique ». Ils sont respectivement devenus oñi- et isce- en koutchéen (c se prononce toujours tch). Les linguistes s'accordent à dire que ces emprunts ont été effectués à une très haute époque (durant celle de Qäwrighul ou même avant) et de manière indépendante parce qu'il n'y avait pas d'échanges directs entre Tokhariens et Indo-Aryens. Ces observations impliquent cependant que les deux peuples ne se trouvaient pas très loin l'un de l'autre. A cette époque, les Tokhariens se trouvaient donc, sinon déjà dans le bassin du Tarim, au moins en Asie centrale.

Avant de pénétrer dans le bassin du Tarim, les Tokhariens ont peut-être vécu en Sibérie méridionale, le long du cours supérieur de l'Ienisseï. Au cours du IIIe millénaire av. J.-C., il s'y trouvait une culture dite d'Afanasievo, fondée par des hommes de type paléo-europoïde et qui apparaît comme une véritable antenne de la culture des kourganes. Il faudrait pouvoir démontrer que la culture de Qäwrighul est à son tour une émanation de la culture d'Afanasievo, mais cela ne peut pas être fait pour le moment.

L'Antiquité

Les peuples de l'Asie ont souvent laissé peu de témoignages écrits sur eux-mêmes, à part les Chinois ou leurs voisins sinisés, qui avaient une tradition historiographique irremplaçable. L'histoire de ces peuples n'est connue que parce que les Chinois ont parlé d'eux, or la science historique chinoise ne commence véritablement qu'avec Sima Qian, peu avant notre ère. Avant, c'est donc l'obscurité, voire les ténèbres complètes.

On sait ainsi, grâce aux Chinois, qu'un siècle avant notre ère, les principaux royaumes du bassin du Tarim existaient déjà et qu'ils avaient une structure administrative évoluée. Au Koutchi, on pratiquait déjà une agriculture irriguée. Les Koutchéens étaient habiles à fondre le fer, technique qui ne sera maîtrisée en Europe qu'au Moyen Âge.

La découverte récente du site de Djoumboulak Koum, dans la partie occidentale du désert du Taklamakan, a permis de savoir que l'agriculture irriguée remontait au moins à 500 avant notre ère. Ce site comprend une forteresse dont la construction a dû mobiliser des moyens importants. Elle laisse donc supposer l'existence d'un pouvoir centralisé.

Et avant ?

Les sources chinoises de l'Antiquité mentionnent l'existence des Quanrong, c'est-à-dire des Rong-Chiens, quan signifiant « chien ». Le terme « Rong » était appliqué aux barbares occidentaux. Ils étaient localisés dans les Sables Mouvants, expression désignant le désert du Taklamakan. Ils élevaient beaucoup d'animaux et ils avaient un tempérament guerrier. Le roi Mu de la dynastie Zhou, qui a régné de 1001 à 967 av. J.-C. d'après la chronologie traditionnelle, les a attaqués sur leur propre territoire. Il aurait fait prisonnier cinq rois, ce qui montre qu'à cette époque, les Rong-Chiens ne formaient pas une nation unifiée.

Il y a différentes raisons de croire que les Rong-Chiens étaient les ancêtres des Koutchéens. Par exemple, la couleur blanche avait une importance symbolique très grande chez les Rong-Chiens tandis que pour les Chinois, les Koutchéens étaient des « Blancs ». Chez les Rong-Chiens comme chez les Koutchéens, on signale l'existence de festins durant lesquels une jeune fille servait à boire ou à manger aux hommes. D'après Georges Dumézil, ces festins seraient en fait mythiques et liés à la quête de l'immortalité, qui était une composante essentielle de la religion tokharienne.
On peut donc admettre que les Tokhariens se trouvaient dans le bassin du Tarim au moins depuis le Xe siècle av. J.-C., déduction compatible avec ce que nous venons de dire sur les origines de ce peuple. Certaines momies provenant de ce territoire et qui sont datées du Ier millénaire av. J.-C. ont donc des chances d'avoir été tokhariennes (ou Rong-Chiens, plus précisément?). Aucun procédé n'a été appliqué à ces corps pour permettre leur conservation. Ils se sont desséchés naturellement, grâce au climat et à certaines propriétés du sol. Les tartans qui ont été trouvés provenaient de la région de Hami, tout à fait en bordure du bassin du Tarim. Rien ne permet de penser qu'ils aient été tokhariens. Il faut reconnaître que leur ressemblance avec les tissus celtiques est très frappante et tout à fait troublante, mais il n'est pas nécessaire de supposer une migration de Celtes en Chine. Ces tissus ont pu être apportés par les Iraniens nomades, qui sillonnaient durant l'Antiquité une grande partie de l'Eurasie.

Les habitants du bassin du Tarim, au Ier millénaire av. J.-C., n'étaient généralement pas de type paléo-europoïde. Un mélange s'est donc produit entre les migrants et des populations locales. Les Tokhariens de l'ère bouddhique sont nés de ces rencontres.

L'ère bouddhique

Après avoir défait les Yuezhi, les Xiongnu prirent à leur tour possession du bassin du Tarim, avec toutes ses richesses. C'était alors l'époque de la dynastie Han, l'une des grandes époques de la Chine. Pour affaiblir les Xiongnu, il fallait les écarter du bassin du Tarim. Les Chinois y envoyèrent donc des troupes. Les royaumes tokhariens se trouvèrent ballottés entre ces deux « superpuissances » qu'étaient la Chine et les nomades de Mongolie. À vrai dire, cette situation très inconfortable se prolongea durant une grande partie leur histoire.

Les récits des efforts diplomatiques déployés pour obtenir la soumission des royaumes du Tarim ou des guerres qui eurent lieu remplissent les chroniques chinoises. Elles mentionnent parfois les conflits qui se produisirent entre ces royaumes et elles sont totalement muettes sur l'histoire interne de chaque royaume. Dans les textes tokhariens, on ne trouve presque aucun renseignement utile. On sait que les rois du Koutchi et de l'Agni se qualifiaient de « Grands Rois », suivant l'exemple des rois indiens (les mahârâja). Sur des laissez-passer de caravanes provenant du Koutchi, on a trouvé le nom du roi Suvarnapushpa (Fleur d'Or), qui régnait au moins dès 618, et de son fils Suvarnadeva (Dieu d'Or), qui lui succéda en 624. Ces deux souverains ont des noms sanskrits, le deuxième étant parfois koutchéanisé en Swarnatepe. Xuanzang a rencontré ce souverain et a rapporté qu'il « a peu de prudence et de capacité et se laisse dominer par des ministres puissants ».

Un fait historique majeur est la conversion des Tokhariens au bouddhisme. Il s'agit de l'école sarvâstivâda, rattachée à ce que l'on appelle le Petit Véhicule. On ignore quand la conversion eut lieu, mais on sait que vers l'an 300, le bouddhisme était déjà florissant au Koutchi. Parmi les peuples qui ont converti les Tokhariens, il y a les Khotanais, peuple de langue iranienne installé à Khotan, au sud-ouest du bassin du Tarim. Certains termes bouddhiques utilisés par les Koutchéens sont d'origine khotanaise.

L'arrivée du bouddhisme a provoqué un accroissement de l'influence indienne chez les Tokhariens. C'est après leur conversion qu'ils ont utilisé la brahmi pour noter leurs langues. L'usage s'est répandu, au sein de l'aristocratie, de porter des noms sanskrits.

Il n'est pas interdit de penser que le bouddhisme est arrivé très tôt et a mis plusieurs siècles pour s'imposer, car il s'est heurté aux fortes traditions religieuses des Tokhariens. En Agni, au début du septième siècle, il existait toujours des prêtres de l'ancienne religion. Un syncrétisme s'est produit. De même que le bouddhisme est devenu chinois en Chine, japonais au Japon ou tibétain au Tibet, il est devenu koutchéen au Koutchi.

Les Koutchéens ont créé des divinités hybrides, comme le « dieu-soleil de l'Omniscient », où l'Omniscient est le Bouddha et le dieu-soleil est une divinité koutchéenne. Ce peuple vénérait le soleil (associé à la couleur blanche), en particulier le soleil levant, si bien que l'est était pour eux la direction de référence. Dans les textes koutchéens, il est parfois question du « lever du dieu-soleil de l'Omniscient ». Le dieu du Tonnerre des Koutchéens, Ylaiñäkte, a été intégré au panthéon bouddhique.

À leur tour, les Koutchéens ont contribué à convertir les Chinois au bouddhisme. Dès 1913, Sylvain Lévi a remarqué que certaines expressions du bouddhisme chinois dérivaient non pas du sanskrit, mais du koutchéen. Ainsi, le fait de devenir moine se dit « partir en avant » en sanskrit, mais les Koutchéens et les Chinois disent « quitter la maison ». Pour désigner l'hérésie, les Koutchéens ont emprunté des termes au sanskrit, comme mithyadrishti « vue fausse », mais ils ont également donné à leur adjectif pärnaññe « extérieur » le sens de « hérétique », or en chinois, l'hérésie se dit waidao « voie extérieure ».

Ainsi, le bassin du Tarim n'est pas une simple route que le bouddhisme a empruntée pour se rendre en Chine : il s'y est arrêté et a pris une coloration locale, avant de reprendre sa route.

La fin

La dynastie Tang, créée en 618 par Li Yuan, fut confrontée aux Turcs Bleus de Mongolie (que les Chinois appelaient Tujue), de même que les Han avaient été confrontés aux Xiongnu. Dès l'accession au pouvoir de Li Yuan, le roi Suvarnapushpa lui envoya une ambassade. Dans un premier temps, son successeur, Suvarnadeva, maintint les relations d'amitié avec la Chine, mais il se rangea ensuite du côté des Turcs. D'autres souverains du bassin du Tarim ayant fait de même, cela entraîna une intervention militaire des Chinois. Suvarnadeva étant mort en 646, ce fut son frère Haripushpa (Fleur Divine), qui dut affronter les troupes chinoises. Les Koutchéens jetèrent toutes leurs forces dans cette guerre et ils parvinrent à tuer un général chinois qui avait été victorieux à Karachahr, mais en 648, ils furent vaincus. En représailles, les Chinois détruisirent cinq grandes villes et massacrèrent tous leurs habitants, des « myriades d'hommes et de femmes », comme le rapportent laconiquement leurs chroniques.

Ce coup très dur porté au Koutchi n'entraîna pas la mort de sa civilisation, mais elle fut progressivement sinisée, comme le reste du bassin du Tarim.

En 744, l'empire des Ouïgours succéda à celui des Turcs Bleus en Mongolie. Il s'effondra en 840, à la suite d'une invasion des Kirghiz. Le coup fut si sévère que les Ouïgours durent fuir la Mongolie. Ils se réfugièrent au Gansu, puis dans le bassin du Tarim, d'abord à Tourfan, ensuite chez les Agnéens et les Koutchéens.

Les Tokhariens et les Ouïgours se mêlèrent, puis les langues tokhariennes s'éteignirent lentement, sûrement parce que les Ouïgours étaient très supérieurs en nombre. Quand ils vivaient en Mongolie, ces derniers s'étaient convertis au manichéisme. Au contact des Tokhariens, ils devinrent peu à peu bouddhistes. De nombreux vestiges de la culture tokharienne seraient sûrement restés si les Ouïgours ne s'étaient pas convertis à l'Islam, au début du IIe millénaire.

Au début du XXe siècle, les habitants de Koutcha étaient réputés avoir un parler extraordinairement pur, au point que les autres habitants du bassin du Tarim avaient du mal à les comprendre. Très doués pour la poésie, ils ont des facilités pour parler en vers. Comme l'a supposé Sylvain Lévi, il s'agit sans doute d'un don « hérité » des anciens Koutchéens.

dimanche, septembre 17, 2006

Le Verbe-Logos de Jean dans le prologue

Petit rappel : les Evangélistes ont fait précéder leurs écrits d’une introduction : Marc choisit le départ historique de Jésus en compagnie de Jean-Baptiste ; Matthieu et Luc partent de la naissance miraculeuse et la première enfance du Christ.

Le prologue de Jean est un résumé limpide de l’enseignement développé dans toute son œuvre. Le Logos est celui par qui tout fut créé, bien avant qu’il ne s’unisse mystiquement au corps du Juif Jésus. Il est venu dans le monde pour apporter aux enfants de Dieu la lumière, la grâce et la vérité.

Le prologue veut imiter le début du livre de la Genèse : les deux textes s’ouvrent par la même expression : « Au commencement ». Ils font culminer la création dans le don de la vie et ils suggèrent l’irruption de la lumière dans les ténèbres.

Ce contraste entre la lumière et les ténèbres est un thème essentiel de l’enseignement du Jésus de Jean (Jn 3,19-21 ; 8,12 ; 9,5 ; 12,35-36). Il évoque le dualisme présent dans les manuscrits de la mer Morte, en particulier la Règle de la Communauté avec son instruction sur les deux Esprits (1 QS 3,13-4,26) et la guerre des fils de la lumière contre les fils des ténèbres. L’expression « fils de lumière » se trouve d’ailleurs une fois chez Jean (12,36). Mais l’expression « fils des ténèbres » est absente du NT.

Si le 1er chapitre de la Genèse rapporte la création du monde, Jean se préoccupe des mystères divins, préparant ses lecteurs à l’articulation de la vie divine et à sa projection humaine.

« Au commencement était le Logos (le Verbe) et le Logos était en Dieu, et le Logos était Dieu…tout a été créé par lui (le Logos)…en lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes. La lumière brille dans les ténèbres.. » Jn 1,1-5.

Jean connaît bien la philosophie et le mysticisme grecs, où le Logos joue un rôle essentiel. C’est également un concept fondamental dans la théologie de Philon d’Alexandrie. On le retrouve également dans l’hermétisme grec, spéculation mystique des écrits d’Hermès (le Trois Fois Très Grand) et il influencera le christianisme hellénistique. Dans le mysticisme hermétique, qui vise la déification de l’homme par la connaissance, le Logos est appelé « Fils de Dieu ». Jean parlera du « fils unique qui est dans le sein du Père ». Pour Philon, comme pour Jean, le Logos est celui par qui Dieu créa le monde : il exerce un rôle médiateur entre Dieu et le genre humain. Il est le Principe donnant forme et ordre à tout ce qui existe dans le monde. Le mystérieux Logos divin existant avant la création domine tout le prologue. Le Logos signifie bien parole, mais aussi raison, réflexion consciente. Le Logos n’a pas été envoyé par Dieu, il est venu de sa propre initiative, comme une source de lumière pour vaincre les ténèbres qui existaient alors et pour illuminer et élever à la dignité d’enfants de Dieu ces hommes qui étaient prêts à le recevoir et à croire en lui, contrairement à son propre peuple : l’approche de Jean est fondamentalement universaliste.

Le Prologue conduit logiquement le lecteur vers l’idée d’incarnation : « Et le Verbe s’est fait chair et est demeuré parmi nous » Jn1,14. Ainsi le Logos divin dans la personne de Jésus est descendu sur terre pour rendre visible le Dieu invisible. Sa lumière est accessible à tous.

Jean a su tenir à distance l’enthousiasme eschatologique que prêchera Paul. Il a préservé son Eglise de la crise engendrée par le retard de la parousie et de la fatalité millénariste.

On voit ici Jean se livrer à une lecture hermétique de la création et à une adhésion rationnelle qui dépasse les récits synoptiques donnant toute la place aux multiples facettes de Jésus en pérégrinations.

Son interprétation est celle d’un philosophe d’un esprit nouveau qui unit la culture hellénistique du concept à la foi véhiculée par l’homme Jésus, image d’une relation individuelle avec la puissance divine. Tout homme pensant peut se l’approprier au-delà de l’ecclésial, comme un message universel. C’est ainsi que nous pouvons intégrer dans notre personne, au plan symbolique de l’identification, un vécu constitutif de notre humanisme. Car Jean apprend la distanciation.

C’est peut-être ici que la notion d’amour peut s’enraciner dans le partage.

On pourrait illustrer encore une fois un procès de démythologisation par Jean du mythe Jésus des Synoptiques. Et le Logos prend alors le sens originel donné par Héraclite : celui de discours vrai : « Il est sage que ceux qui ont écouté, non moi, mais le discours, conviennent que Tout est Un » fragment 1 ou 50. Sagesse, science, discours vrai.

vendredi, septembre 15, 2006

Nombres - 638 et 660

Le nombre 638

Symbolisme
Ce nombre pourrait représenter le Karma de la personne, 600, se manifestant au travers de la souffrance, 38, de façon à atteindre finalement la perfection et la félicité de l’être, 6+3+8 = 17; 1+7 = 8. Ce sont les épreuves répétées que la personne accepte de subir pour se racheter elle-même de ses fautes.

Général
La faune du Québec compte 638 espèces de vertébrés: 326 espèces d'oiseaux, 185 de poissons, 90 de mammifères, 21 d'amphibiens et 16 de reptiles.

Guématrie
En utilisant la guématrie en "n", les mots hébreux suivants nombrent 638: ChLM, signifiant «être en bonne santé» et «rêve»; LChM, signifiant «pain», «manger», «guerre» et «combat»; BRKVThI, signifiant «mes bénédictions».


Le nombre 660

Bible
L'Évangile de Marc contient en tout 678 versets. Cependant les exégètes ne peuvent prouver que les 18 derniers versets du chapitre 16 appartiennent vraiment à la rédaction de Marc. Il se peut que ces 18 versets soient venus très tôt remplacer une finale primitive disparue, faisant suite à la brusque interruption du verset 8 du chapitre 16. L'Évangile écrit par Marc et retranscrit dans la Bible pourrait donc se limiter à 660 versets.

Un roi impie, nommée Manassé, régna 660 mois sur Juda, soit pendant 55 ans. (2 R 21,1)

Général
Dans l'évangile de Barthélemy, livre apocryphe, Satan est appelé Belzébul et Béliar, mais avant son péché il s'appelait Satanaël, le premier des anges, créé avant Michaël. Il était immense avec 1600 coudées de longueur et 40 de largeur. Ses ailes mesuraient 80 coudées. Il fallut 660 anges pour le maintenir. Son péché fut de refuser d'adorer Adam, l'image de Dieu.

Dans le Livre hébreu d'Hénoch, ou Livre des Palais, il est dit que devant le Trône de gloire de YHVH Dieu d'Israël, situé dans l'Aravot (le 7e ciel), se tiennent 660 milles myriades anges de la gloire, sculptés de feu flamboyant.

Le stade, unité de mesure utilisé dans la Bible, équivaut à 600 pieds grecque ou 660 pieds anglais, soit l'équivalent de 185 mètres.

Guématrie
Le mot 'étincelles' écrit en hébreu, NITzITzITh, ainsi que 'membres', QShRIN, nombre chacun 660.

samedi, septembre 09, 2006

La Divine Comédie

Monarchia : « L’ineffable Providence de Dieu proposa à l’homme deux fins : la béatitude de cette vie qui consiste dans l’exercice de la vertu propre et qui est représentée par le paradis terrestre ; et la béatitude de la vie éternelle qui consiste à jouir de la vue de Dieu, ce à quoi la vertu humaine ne peut pas s’élever si elle n’est aidée par la lumière divine, et qui est représentée par le paradis céleste. A ces deux béatitudes, comme à des fins diverses, il faut arriver par des moyens différents. Car à la première nous arrivons par les enseignements philosophiques, pourvu que nous les suivions en en agissant selon les vertus morales et intellectuelles. A la seconde, par les enseignements spirituels qui dépassent la raison humaine, pourvu que nous les suivions en agissant selon les vertus théologales, la foi, l’espérance et la charité…C’est pourquoi l’homme a eu besoin d’une double direction suivant sa double fin : cad du Souverain Pontife qui, selon les vérités révélées, conduirait le genre humain à la vie éternelle, et de l’Empereur qui, selon les enseignements philosophiques, le dirigerait vers la félicité temporelle »

Le Paradis est édifié sur les données astronomiques de son temps.

La terre est immobile dans l’espace. Autour de la terre tournent 9 sphères concentriques, dont les moteurs, les intelligences motrices, sont des anges.

En allant de la plus rapprochée de nous, la plus petite et la plus lente, à la plus éloignée, la plus grande, la plus rapide : la Ciel de la Lune, Mercure, Vénus, Soleil, Mars, Jupiter, Saturne : les 7 planètes animées d’un mouvement propre. Au-delà le Ciel des Etoiles qui sont fixes et dont le seul mouvement est le mouvement diurne. Au-delà encore le ciel cristallin ou Premier Mobile, qui « ordonne de son mouvement la révolution quotidienne de tous les autres ».

Le ciel cristallin tourne lui-même dans un deuxième ciel, immatériel, pure lumière immobile dans une paix éternelle, « édifice souverain du monde dans lequel le monde tout entier est renfermé et au-delà duquel il n’y a plus rien : l’Empyrée, séjour de la divinité.

Donc 10 régions : les neuf ciels mobiles et l’Empyrée.

La structure de l’Empyrée : appelée une « fleur », « une rose blanche », « une rose éternelle ».
Immense amphithéâtre divisé en deux hémicycles avec deux séries de sièges superposés.

• D’un côté où tous les sièges sont occupés, sont assis ceux qui ont cru dans le christ qui doit venir, cad les Juifs de l’Ancien Testament.
• De l’autre côté, avec des places vides, ceux qui ont cru dans le christ venu, les élus du Nouveau Testament.
La muraille de séparation est formée par les bienheureux : d’une part, les femmes appartenant à la loi ancienne ; de l’autre des hommes appartenant à la Loi nouvelle.

La place la plus élevée est occupée par la Vierge Marie. Au-dessous d’elle, des Juives dont six sont nommées : Eve, Rachel, Sarah, Rébecca, Judith et Ruth.
En face de la Vierge Saint Jean Baptiste.
Au-dessous de lui, les fondateurs des Ordres monastiques dont trois sont nommés : St François d’Assise, St Benoît, St Augustin.
Au-dessous d’une subdivision sont les enfants qui n’ont pas gagné le paradis par leur propre mérite.
Les anges volent éternellement, « comme un essaim d’abeilles » descendant dans la fleur, d’où ils remontent ensuite vers Dieu.

L’ascension se fait en ligne droite, d’une planète à l’autre.
Le ciel de la Lune : les âmes dont les vœux n’ont pas été accomplis.
Mercure : esprits actifs par désir d’honneur et de gloire.
Vénus : les bienheureux qui pendant leur vie terrestre ont brûlé d’amour, même profane, pourvu qu’ils soient repentis.
Soleil : les sages, les théologiens, les philosophes.
Mars : ceux qui ont combattu pour la foi du Christ.
Jupiter : les Princes qui ont défendu la justice.
Saturne : les contemplatifs.
Le 8ème Ciel, ciel des Etoiles est réservé au triomphe du Christ.
Chant XXIV : St. Pierre et la Foi.
Chant XXV : St. Jacques et l’Espérance.
Chant XXVI : St. Jean et la Charité.
Le 9ème, le Premier Mobile, où Dante contemple les hiérarchies angéliques.
Empyrée : Dieu , les Anges, les Bienheureux. La rose céleste

mercredi, septembre 06, 2006

Jésus, un personnage éponyme aux multiples visages


• -1000 à + 200 : la Bible
• -200 à +100 : Ecrits intertestamentaires
• 200 à 500 : Mishna et Talmud des rabbins.
Mishna : (répéter) : le fait d’apprendre la doctrine et la doctrine elle – même tradition, enseignement, interprétation.

Les hommes d’Eglise se sont attachés à faire ressortir la supériorité du Nouveau Testament considéré comme la « maîtresse » d’une littérature juive, servante et auxiliaire.

• Jésus, l’Eglise primitive et le NT : partie intégrante du judaïsme.
• Langues de Jésus : l’araméen, langue sémitique proche de l’hébreu parlé par la majorité des Juifs palestiniens. Le support de la langue dans laquelle il a enseigné a très vite disparu.

Le succès de l’Eglise primitive chez les gentils (les non-Juifs) de langue grecque a conduit les apôtres a transmettre le message évangélique (Evangiles, Epîtres) en grec. La traduction de l’araméen en grec se fait à travers une transplantation de culture complètement étrangère au paganisme gréco-romain.

Les découvertes des manuscrits du XIXème et XXème siècles ont permis de mieux connaître la littérature juive et le contexte culturel auquel appartient le Nouveau Testament :
- L’AT hébreu et araméen, les apocryphes (les livres de l’AT qui nous sont parvenus dans la seule version grecque de la Bible)
- Les pseudépigraphes (des écrits religieux qui n’appartiennent pas à l’AT hébreu ou grec)
- Les œuvres de Philon d’Alexandrie, contemporain de Jésus, il écrit des traités destinés à exposer l’interprétation de la Loi mosaïque aux Gentils.
- Les œuvres de Flavius Josèphe, né à Jérusalem d’une grande famille sacerdotale, chargé d’organiser la résistance juive contre Rome en Galilée.

Il se rend au général romain Vespasien en 67, est affranchi 10 ans plus tard. Il est aux côtés de Titus pendant le siège de Jérusalem qui s’achève par le destruction du Temple. Historien il décrit les événements dans « La guerre des Juifs » et des œuvres d’apologie du judaïsme « Les antiquités juives ».

La littérature rabbinique : Mishna et écrits rabbinique sur le Talmud, forme écrite de la Torah remonte à l’ère chrétienne.

L’évangéliste Jean

Les chrétiens orthodoxes ont la conviction que l’évangile de Jean est le plus crédible des 4 : c’est l’œuvre de l’apôtre témoin oculaire de la vie de Jésus qu’il l’aimait, en a fait son héritier et lui a confié Marie sa mère.

En réalité, l’Evangile de Jean est une exception qui ne reflète en rien le message de Jésus. Il ne décrit pas non plus la perception que ses disciples pouvaient avoir de lui.

Il est l’expression de la théologie très élaborée d’un chrétien ayant vécu à trois générations de Jésus et achevé son évangile dans les première années du 2ème siècle de notre ère.

C’est le stade le plus achevé de l’élaboration doctrinale. Il se place dans une démarche visionnaire, pédagogique du message de Jésus et s’éloigne souvent des Evangiles synoptiques, plus événementiels. D’autre part, les recherches contemporaines ne justifient pas l’a priori sur Jean biographe indépassable de Jésus.

On note, par exemple, la contradiction suivante : les synoptiques font durer la vie publique de Jésus un an, alors que Jean l’étale sur deux ou trois ans, mentionnant trois fêtes de Pâques consécutives sous le ministère de Jésus en Galilée et en Judée. Jean date la crucifixion la veille de la Pâques, c.-à-d. le 14 nisân et les synoptiques décrivent la dernière cène comme un repas pascal, conduisant à l’exécution de jésus le jour du 15 nisân.

La date : l’ouvrage a été publié vraisemblablement au début du 2ème siècle, entre 100 et 110.
L’identité de l’auteur : ce qui est notable, c’est la différence entre les synoptiques et l’Evangile de Jean. On a cherché vainement des auteurs crédibles. Il semble bien que Jean soit un auteur indépendant dont le récit n’était recevable que par un auditoire n’ayant connu ni Jésus ni ses disciples immédiats. Le portrait élaboré est celui d’un Christ divin à multiples visages, dont l’influence et l’enseignement prend un caractère universel.

Dans les synoptiques, les paroles de Jésus portent sur le Père céleste, l’arrivée imminente du Royaume de dieu, les exigences morales et religieuses requises pour entrer dans ce royaume par la porte de la repentance. L’enseignement et la religion de Jésus étaient centrées sur dieu et non sur lui-même. Questionné sur son rôle dans cette période finale de l’histoire, il répondait de façon évasive ou équivoque. Si on le poussait à dire s’il était le roi des Juifs ou le Messie, il ne répondait jamais »oui » mais « c’est toi qui le dis ».

Dans le 4ème Evangile c’est le contraire : discours longs, décousus, répétitifs, parfois de style allégorique. Ils ne concernent pas d’abord Dieu, ni le royaume des cieux ce thème clé des synoptiques n’apparaît qu’une fois, dans le dialogue avec Nicodème (Jn3, 3-5). Dans le 4ème Evangile les discours de Jésus sont centré sur lui-même, son enseignement, sa personne, sa relation personnelle à Dieu et à ses disciples. Son style est elliptique et entraîne souvent l’incompréhension du commun des mortels. Même ses propres disciples à l’esprit lent et obtus trouvent son enseignement difficile à comprendre : « A Capharnaûm, beaucoup de ses disciples qui écoutaient disaient alors : « que ce langage est raide ! Qui peut entendre ça ? Sachant qu’ils le critiquent, Jésus leur dit : vous perdez pied ? Eh bien, lorsque vous verrez le Fils de l’homme remonter là d’où il vient ! Le souffle seul fait vivre, la chair ne sert à rien, les paroles que je vous dis sont souffle et vie. Certains d’entre vous se méfient. Voilà pourquoi je dis que personne ne peut me rejoindre s’il n’y est poussé par le Père » Jn 6,60. A la différence des synoptiques, le Jésus du 4. Evangile est hautain, raide, transcendant. Il domine son auditoire et fuit toute équivoque. Quand on lui demande s’il est le Messie ou l’envoyé de Dieu, soit il affirme qu’il est bien celui-là, soit il déplore le manque de foi de ses interlocuteurs : « je vous l’ai dit et vous ne me croyez pas » Jn. 4,26.

Le Jésus de Jean ne correspond pas au prophète « homme et porte-parole de Dieu » auquel la tradition juive biblique et post-biblique nous a habitués. C’est un étranger mystérieux, un être céleste revêtu d’une apparence humaine. Dans la langue de Jean, c’est le fils de Dieu le Père au plein sens métaphysique et non plus métaphorique comme dans la Bible ou la littérature post-biblique.

Le 4.Evangile permet encore de dégager le portrait de Jésus à partir de commentaires explicites de l’auteur (le prologue).
L’Evangéliste a voulu transmettre ses propres convictions christiques, présentées comme les paroles mêmes du Fils et faire sa propre synthèse dans le Prologue.

Les facettes de la personnalité de Jésus
Jésus le Maître

Dans le judaïsme du 1er siècle, le Maître désignait un enseignant officiel, un prêtre, un scribe ou un pharisien. Peut-être est-il membre du sandhérin. Jésus n’appartenait pas à cette élite de la société juive. Il n’était pas spécialiste de la loi juive traditionnelle ni de l’interprétation de la Bible (rabbi). Les grands maîtres juifs de l’époque de Jésus, Hillel, Shammaï, Gamaliel étaient tous appelés « anciens » et non rabbis.

Or Jésus n’a pas comme eux étudié la Mishna et le Talmud auprès d’un maître renommé. A l’étonnement des notables : « Comment est-il si savant, lui qui n’a pas étudié ? »(Jn.7, 15).
Le Jésus prédicateur est défini par Nicodème : Jésus est un maître venu de la part de Dieu, car nul ne pouvait accomplir les œuvres qu’il accomplissait si Dieu n’était pas avec lui » Jn. 3,2
Selon Jean, Jésus a accepté de se reconnaître Maître et Seigneur (Jn.13, 3), mais il ne prouve pas par des signes qu’il est bien l’envoyé de Dieu. Le Jésus de Jean justifie sa mission divine en affirmant que son ministère est résolument tourné vers le Père et que ses paroles lui viennent de Dieu (Jn.7, 16). La vérité du message s’impose par l’orientation théocentrique du messager : « Celui qui parle de lui-même cherche sa propre gloire, mais celui qui cherche la gloire de celui qui l’a envoyé (Dieu le Père) est véridique, il n’y a pas de mensonge en lui » (Jn.7,18)

Jésus le Prophète

Au plan biblique, et dans le judéo-christianisme du temps de Jésus, le prophète désigne :
Un thaumaturge (faiseur de miracles), comme Elie ou Elisée dans le premier Livre des Rois.
Un messager inspiré de Dieu pour révéler ses secrets comme Isaïe ou Jérémie, qui ont laissé des traces écrites derrière eux.

Au 1er siècle de notre ère, le visage du prophète est polymorphe : enseignant, eschatologique qui annonce les événements de la fin des temps, le thaumaturge qui fait des miracles, les prophètes qui annoncent la libération ultime du peuple juif, tels que les décrit l’historien Flavius Joseph (Theudas, Fadus, l’Egyptien fortement réprimés par les Romains). Tout ce matériel est développé dans les synoptiques.

Jean qui écrit trente ans après la chute de Jérusalem en 70, n’associe pas Jésus à une démarche de type révolutionnaire, ce qui aurait contrarié l’évolution du christianisme dans les provinces orientales de l’Empire romain. De même, il minimise le rôle prophétique et la fonction de prédicateur de Jésus. Il restreint son activité de guérisseur et d’exorciste.

Par contre, il pointe l’aspect charismatique de l’homme de Dieu qui peut lire les pensées secrètes dans les cœurs et accomplir des miracles spécifiques : l’aveugle guéri le reconnut comme un prophète ou collectifs : Jésus ayant nourri 5000 personnes avec cinq pains d’orge. Le texte ne parle pas « d’un » prophète mais du prophète, c.-à-d. un personnage bien déterminé « Celui-ci est le prophète qui doit venir dans le monde » Jn.6,14, alors que dans les synoptiques Jésus n’est que l’un des prophètes (Mt. 16,14 ; Mc.8,28 ; Lc.9,19). Jean s’approprie donc l’enseignement du judéo-christianisme naissant relatif au messianisme tel qu’on le trouve formulé dans les Actes de Apôtres ( 3,17-26 ; 7,37) qui se font l’écho d’une attente citée dans les Apocryphes et les Manuscrits de la mer Morte.

Au total, les titres de Maître et de Prophète ne correspondent pas, pour Jean, à la dignité de Jésus

Le Messie

L’Oint (Mashiah en hébreu, Meshiba en araméen, Christos en grec) est l’un de titres les plus couramment attribués à Jésus par les auteurs du Nouveau Testament. A cette époque, le Messie ne désignait pas seulement le Messie Roi, mais également le Messie prêtre comme en témoigne les Ecrits de la mer Morte et l’épître aux hébreux. Et la ferveur messianique, loin d’être omniprésente, est attestée, dans la littérature juive, lors des soulèvements politiques survenus de –200 et + 100. Le thème messianique repose sur l’espoir du Roi Messie à venir, issu de la lignée de David, qui restaurera la souveraineté du peuple juif en mettant un terme à des siècles de domination étrangère notamment l’Empire romain.

Les synoptiques associent Jésus à la dynastie royale juive en faisant remonter sa lignée jusqu’à David (Mt. 1, Lc. 3) et en le qualifiant de « Fils de David »( Mt 9,27 ; Mc 10, 47-48 ; Lc 18, 38-39).

A l’époque de rédaction du 4 eme Evangile l’idéologie davidique s’est atténuée. Les esprits refusent toute possibilité d’un rapprochement entre Jésus et cette figure messianique. Jean note dans la bouche des Juifs les propos hostiles : Jésus le Galiléen ne pouvait remplir la fonction d’un messie qui devrait être traditionnellement issu de Bethléem. Autre obstacle, la croyance en une origine secrète, le Messie arriverait soudainement, comme s’il venait de nulle part. « Nous savons d’où vient cet homme ; le Christ, lui, personne ne saura d’où il vient » (Jn 7, 26-27)

Jésus le juif :

Les évangélistes décrivent Jésus comme un Juif profondément attaché aux lois et coutumes de son peuple :
Présence dans les synagogues de Galilée et au temple de Jérusalem.
Il mena la Pâques juste avant son arrestation.
Ses vêtements avaient la frange traditionnelle.
Respect pour la législation rituelle : il ordonna au lépreux après l’avoir guéri d’aller se soumettre au jugement des prêtres et d’offrir au Temple le sacrifice prescrit.

Il enseigne la valeur permanente de la Tora : « Avant que ne passent le ciel et la terre, pas un iota, pas le moindre trait ne passeront la loi » Mat. 5,18 ; « l ciel et la terre passeront plus facilement que ne tombera de la loi un seul trait »Lc. 16,17. Bien des efforts ont été faits (dans l’Eglise primitive et dans le christianisme postérieur) pour nier l’affirmation de Jésus sur la permanence de la Tora. Et pour insinuer que la rupture entre le judaïsme, centré sur la loi et le christianisme, mû par l’esprit, avait été initiée par Jésus.