jeudi, janvier 04, 2007

La Mésopotamie - La religion

Les oeuvres qui composent l'ensemble littéraire de la mythologie baignent toutes dans un contexte surnaturel. En Mésopotamie, la religion constituait le cadre propre de la mythologie.

Le terme de religion définit l'attitude des hommes vis à vis d'un ordre de choses qu'ils appréhendent obscurément et d'instinct comme supérieur à eux-mêmes et à tout ce qui les environne ici-bas. Cet appel vers le haut implique la notion de surnaturel, de sacré, de numineux, et suscite une double émotion : ou l'homme le redoute et il se sent pris devant lui d'un sentiment de crainte et d'éloignement; ou il l'attire et il éprouve le besoin de se rapprocher de lui. Le sacré fascine et inquiète et donne naissance au sentiment religieux. L'obscure approche du Sacré et de l'Etre divin pousse l'homme à le sortir de sa virtualité, à le connaître. Et puisqu'il n'est pas immédiatement perceptible, à l'imaginer, en forgeant tout un système de représentations à son sujet : toute une idéologie religieuse. Le sentiment religieux associé à l'idéologie religieuse conduisent à un comportement religieux, afin d'établir une relation avec le " "monde d'en haut ".Les manifestations religieuses précèdent de très loin les transcriptions cunéiformes et sont soumises à des transmissions orales non figées dans une histoire, car elles ne font références à aucun créateur. Elles traduisent seulement les représentations collectives du sacré qu'une tradition immémoriale a élaborée. Il s'agit d'une Religion primitive, non codifiée par des livres saints, mais évoluant au gré des cultures, dont elle représente la face tournée vers le surnaturel.

I. La religion primitive.

II. Avant l'histoire, ces populations se sont trouvées devant la nécessité de donner forme et contenu à cet "ordre de choses tout à fait supérieur à eux et à tout ce qui les environnait ici-bas ". Le ciel immense, la terre sans fin; les astres, les météores, le vent, la pluie ; l'orage avec ses foudres, cette nappe d'eau douce sous la terre avec ses sources, les fleuves qui apportaient la vie au pays, la mer infinie et secrète, le feu énigmatique, la croissance des plantes et des animaux, le rut des bêtes et la passion amoureuse des humains : tous ces phénomènes énormes et surprenants, perpétuels et réguliers, paraissaient émaner de desseins réfléchis d'une volonté pareille à celle qui commande à la vie de chacun. Devant cette puissance surnaturelle, les hommes se sentaient remplis d'admiration, de révérence, de perplexité et d'effroi. Pour en rendre compte, écarter le mystère et l'absurdité apparente, ils s'en rapportent au seul type de causalité libre et efficace qui leur est familier: la leur propre. Et de poser à l'intérieur de ces manifestations d'une force énigmatique et surhumaine, un animateur caché, une personnalité comparable à la leur : active, spontanée , réfléchie. Mais dotée d'un pouvoir et d'une intelligence très supérieure et non soumise aux faiblesses humaines : la mort, la maladie, la peine; la déchéance. C'est ce que l'on appelle l'anthropomorphisme. Ainsi, chaque grand phénomène inexplicable de la marche du monde devait avoir son dirigeant, son manipulateur, son moteur : les Mésopotamiens étaient polythéistes. De là provient le nombre surprenant de divinités: quelques centaines.

Chacune de ces divinités était donc attachée, d'abord, à l'un des grands secteurs ou des grands mouvements de la nature.

* An était le dieu de la partie supérieure de l'univers, de l'En-haut, du Ciel.
* Ki, de l'En-bas, de la Terre.
* Enlil, celui de l'espace aérien et mobile, intermédiaire, comme l'Air, l'atmosphère
* Enki, celui de l'Apsû : la nappe souterraine d'eau douce.
* Utu, celui du soleil.
* Nanna, de la lune
* Et d'autres se trouvaient en charge des divers astres et constellations ou des plantes et de certains animaux et ainsi de suite.....

Ces nombreux représentants du monde surnaturel étaient structurés en familles construites comme celles d'ici-bas sur le mode patriarcal, et hiérarchisées à l'image des maisons souveraines. A l'époque des Cités Etats, chaque unité politique se présente avec un pouvoir temporel, coiffé d'un gouvernement surnaturel de divinités, organisées et hiérarchisées autour du souverain divin de la ville et de son territoire dans un panthéon local. Vers la fin du 3ème millénaire, on assiste à une réduction et à une mise en ordre de ces multiples panthéons et trois dieux suprêmes garderont leur place jusqu'à la fin de l'histoire du pays : An, Enlil, Enki. Conformément à l'idéologie monarchique traditionnelle, ils détenaient l'autorité souveraine sur l'univers des dieux, des hommes et des choses. L'autorité, le commandement efficace était entre les mains d'Enlil. An n'était pas seulement son père, mais surtout le fondateur et le garant de la dynastie divine régnante, retiré et laissant le pouvoir à son fils, ultime recours en cas de crise grave. Enki tenait la fonction technique du pouvoir : le plus intelligent, le plus informé, avisé, subtil et sage, le plus actif aussi. Il était auprès du souverain comme son premier ministre, conseiller , expert en toutes choses, résolvant toutes les difficultés en somme l'oeil et le cerveau du monarque dont il guidait et corrigeait le bras aisément maladroit et brutal.

A la fin du 3ème millénaire, le patrimoine culturel sera absorbé par les Sémites. On assiste à une akkadisation des noms des dieux : An en Anu, Enki en Ea et à l'apparition de personnalités nouvelles comme la sémitique et belliqueuse Istar qui absorbe la sumérienne Inanna déesse de l'amour physique et Delebat déesse de la planète Vénus. Sa personnalité est devenue si exubérante et envahissante que presque toutes les autres déesses se sont effacées devant elle. Elle représente le plus haut degré de la nature divine au féminin.

Avec la réduction du personnel divin, apparaît un changement dans le rôle des dieux. Ils prennent de la distance avec les phénomènes de la nature et de la culture. Ils s'individualisent, sont auréolés d'une certaine majesté. Ils sont imaginés raisonnables et sages jusque dans leurs colères. Leur gravité, leur dignité les placent très haut, on insiste sur les traits qui soulignent leur incommensurable distance : cette démarche souligne leur transcendance.

Parallèlement, ils prennent en charge tous les impératifs, toutes les prohibitions qui réglementent la vie humaine. Tout manquement constitue une offense à leur autorité, une révolte, un péché qui mérite sanction : l'action des dieux, auparavant restreinte à la nature s'étend à l'histoire des hommes, selon un plan qu'ils sont seuls à connaître. L'homme est soumis à leur Justice ou rapporte ce qui lui arrive de mauvais à un châtiment venant d'en haut : le mal par le mal.

A partir de Sargon le Grand les rois sont à la tête de concentrations de territoires et investis d'une autorité immense. De la même façon, pour le monde d'En-Haut, on cherche à réunir entre les mains d'un seul personnage surnaturel l'autorité suprême sur l'univers. Il y a là comme une timide aspiration hénothéiste. Ainsi, vers le milieu du 2° millénaire, Marduk, un dieu " jeune ", fils d'Ea fut proclamé par les prêtres et les docteurs de Babylone, souverain absolu de l'univers, repoussant Enlil dans une sorte d'honorariat. Ce sursaut d'hénothéisme n'a cependant pas ébranlé le polythéisme.

II. Le comportement religieux.

Le culte officiel rendu aux dieux était tiré du modèle royal, calculé et transposé, magnificence en plus , des services que les rois attendaient de leurs sujets. Dans cette religion anthropomorphique, tous ces services étaient d'ordre matériel : on devait représenter les dieux, les loger, les meubler et les fournir de biens d'usage et de luxe, les nourrir, les vêtir, les promener et leur assurer leur vie de famille, tout comme ces êtres de chair et d'os qu'étaient les rois.

On leur bâtissait donc, entourés de grands murs percés de portiques grandioses, des temples magnifiques, édifiés autour d'une pièce centrale qui jouait le rôle du "Saint des Saints" de la Bible, et qui était entourée de salles sans nombre, de chapelles, de vestibules et de cours cérémonielles. Dans l'une de celle-ci s'élevait une tour à étages ( ziqqurat, pointue, en akkadien ) couronnée d'un petit sanctuaire et semblant relier le ciel et la terre. Tout un mobilier précieux, lits , tables et trônes, garnissaient ce somptueux habitacle.

Le Temple, c'était la maison du dieu, souvent situé en pleine ville. Il l'habitait en personne, sous les apparences de sa précieuse statue du culte, faite d'une âme de bois rare plaquée de feuilles d'or ou d'argent et adornées de pierres fines. Elle occupait la place d'honneur, dans le " saint des saints ", entourée des images des divinités qui composaient sa famille et sa cour : sa déesse parèdre ( qui siège à côté ) , ses enfants, ses familiers et ses hauts fonctionnaires.

Le Temple était le théâtre du cérémonial magnifique dont les rituels fixaient dans le détail tout le déroulement. Le culte quotidien était organisé autour de la table, mais nul sacrifice n'y intervenait comme tel, si ce n'est les animaux choisis pour le repas. Ces repas, servis quatre fois par jour, comportaient des menus variés et précieux, accompagnés de boissons servies dans des coupes d'or, et rehaussés de fumigations odorantes, de musiques et de chants sacrés. On faisait aussi la toilette du dieu, le revêtant d'habits précieux, et le sortant dans une procession solennelle, pour le conduire dans la ville et dans les campagnes, vers des sanctuaires disséminés un peu partout et servant de reposoirs.

La liturgie semble avoir été annuelle et mensuelle. La plus célèbre inaugurait l'an neuf , au printemps, au mois de Nisan ( fin mars, début avril ). Elle durait onze jours et semblait vouloir réaliser une refonte générale, pour entrer dans un temps nouveau. A la même époque, on célébrait le mariage du dieu, la hiérogamie. Au début, cette cérémonie était célébrée avec un certain réalisme, par le roi couchant avec une prêtresse choisie. Plus tard, les statues du roi et de son épouse étaient apportées en grande pompe dans une salle " nuptiale " et laissées côte à côte dans leur " lit conjugal " toute la nuit. Les rituels liturgiques consignaient, pour chaque jour de chaque mois, les obligations religieuses, les dieux à honorer particulièrement, les gestes pieux recommandés, les aliments et démarches déconseillés ou défendus.

Le Temple, comme les autres chapelles, était ouvert au public, hormis telle ou telle partie considérée comme plus " sacrée " et accessible seulement aux membres du clergé. Celui-ci est peu connu, ou tout au moins est-il difficile de séparer les fonctions proprement religieuses des fonctions administratives. A côté des prêtres, figuraient des prêtresses dont certaines étaient astreintes sinon au célibat, et encore moins à la chasteté, mais à l'obligation de ne point faire d'enfants. Quelques unes vivaient ensemble et à part, dans une sorte de béguinage. Il existait des catégories, notamment dans le personnel sacré officiant ,tels les prostituées ou les prostitués, les hiérodules, intervenant lors des hiérogamies. ( prostitué : exposé aux yeux, impudique ).
Le culte sacramentel avait pour fin propre d'obtenir que les dieux écartent le mal causé aux hommes par la cohorte des démons, produits de l'imagination religieuse, pour rendre compte des malheurs survenus sans raison apparente. Censés d'abord agir de leur propre chef, par pur sadisme, ils ont été assez vite rangés sous la coupe des dieux, " gendarmes " exécuteurs de leurs sentences. Car en vertu de l'image politique du pouvoir des dieux, on leur reconnaissait une fonction de justice rétributive qui leur permettait de châtier les manquements à leurs volontés souveraines. Les procédés les plus archaïques pour chasser ces démons ont été de l'ordre de la magie. Mais la ritualisation des gestes et des discours, dans des cérémonies proches des dieux, étaient plutôt de l'ordre de la théurgie et de l'exorcisme. théurgie : theos, dieu, ergon, oeuvre. exercice magique qui procurait une relation avec les divinités bienfaisantes.

Le culte sacramentel ne se pratiquait pas nécessairement dans le Temple, mais, selon que le rituel l'exigeait, soit auprès du malade, soit à portée d'eau courante, soit dans la steppe. Toutefois, le lieu précis où on l'exécutait devait toujours purifié et sacralisé par des procédures appropriées. Ce culte avait son officiant particulier, membre du clergé : l'exorciste. Il s'agissait toujours de manipulations utilisant l'eau, le feu, ou d'autres matières chargées de vertus spécifiques et accompagnées de prières et d'adresses aux dieux. On peut rattacher à ce même culte un certain nombre de pratiques, notamment de divination déductive qui mettaient en jeu la science et la technique de l'opérateur, des appels aux dieux, sans parler du sacrifice ritualisé des animaux dans les entrailles desquels les aruspices cherchaient à décoder l'avenir.

Reste la liturgie familiale, avec ses rites funéraires. Le corps, avant l'ensevelissement devait être lavé, habillé et exposé. La mise en terre se faisait dans le sous-sol de la maison, dans une aile réservée à la sépulture, près de la chapelle domestique. Une fois par mois, lorsque la lune, en disparaissant, ramenait la pensée vers la mort, chaque famille se rassemblait autour d'un repas cérémoniel, en partageant les mêmes vivres, affirmant leur communion familiale. On l'appelait, en akkadien, kispu, d'une racine kasâpu, qui signifie quelque chose comme " rompre le pain pour le partager ". et les morts, eux-aussi, étaient censés prendre part, mystérieusement, au repas. A l'autre bout de l'existence, à la naissance, des cérémonies analogues se pratiquaient sans doute en famille, mais nous n'en savons presque rien.

Ce comportement religieux repose sur l'expression ou l'exploitation rituelles des mythes cosmogoniques, théogoniques et anthropogoniques qui sont largement décrits dans la littérature sumérienne puis akkadienne. Au fil des siècles, ces récits sont repris, affinés et nous nous attacherons aux plus riches et significatifs d'entre eux, en notant que certains sont à l'origine de passages bibliques.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

et bonjour,
je viens de lire ton article ma foi fort interessant. Cependant je pense interessant de signaler qu'il faudrait insister sur le coté centrifuge du sentiment religieux. En effet, les hommes ressentent une crainte envers les dieux qu'ils doivent servir ( je renvois aux statues des orants, les yeux equarquillés, comme s'ils guettaient tous signes des dieux). On ne peut donc pas decemment parler de volonté de se rapprocher des dieux, d'où une totale absence de mystique dans la littérature.
voila c'etait mon petit ajout, j'espere n'avoir pas parue trop arrogante :)
une bonne journée !